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Libération
Chronique «les mots secouent»

Фельдшер, feldsсher : le médecin de campagne en voie de disparition

Petit glossaire de la réalité russe à travers des mots qui n’ont pas toujours une traduction exacte, ni même d’équivalent, dans la réalité française.
A Morgunovo, région de Kaliningrad, en 2012. (Photo Igor Zarembo. Sputnik.AFP)
publié le 16 décembre 2020 à 16h14

Фельдшер, feldsсher. De provenance allemande, comme beaucoup de termes russes touchant à l'armée, à la médecine ou à l'organisation de l'Etat, le terme désigne une «profession médicale intermédiaire». Au départ un rang militaire, le feldscher est à mi-chemin entre l'infirmier et le docteur, autorisé en l'absence de ce dernier à établir un diagnostic, prescrire des médicaments, superviser un accouchement, et mener une liste bien définie d'opérations médicales relevant en règle générale de la première urgence.

En ville, le feldscher est souvent à la tête de l'équipage d'une ambulance, par exemple. Mais c'est surtout dans les campagnes que son rôle prend toute son importance. Sur le gigantesque territoire russe, parsemé de minuscules villages parfois séparés de la civilisation par des centaines de kilomètres de taïga et de routes défoncées, assurer un quadrillage de toute la population par des hôpitaux et médecins est impossible. Pour éviter les déserts médicaux, l'Union soviétique avait mis en place un réseau d'établissements appelés «FAP», pour Feldschersko-Akoucherski Punkt, «Points de Feldscher-Accoucheur», qui assuraient une assistance médicale basique dans les campagnes, même en l'absence de médecin. Contenus dans trois pièces, sans équipement lourd, souvent installés dans des bâtiments déjà existants sur place, ils font partie du paysage des villages russes au même titre que la Maison de la culture, équivalent russo-soviétique de la salle des fêtes des villages français. Et tout rudimentaires qu'ils soient, parfois sans eau courante ni électricité, ils assuraient une couverture médicale basique dans les points les plus reculés de l'immense Russie.

«Optimisation»

Assuraient, car en 2014, le système de santé russe est soumis à une réforme massive, d'inspiration néolibérale, menée sous la bannière de «l'optimisation». Tarification à l'acte, réduction d'effectifs, fermeture de petits hôpitaux de province (toute ressemblance avec une situation familière à notre pays est purement fortuite), et surtout disparition massive des «FAP» : plus de 5 000 ferment en quelques années. En 2018, il n'en reste que 35 000 dans tout le pays, et sur les 130 000 villages de Russie, seuls 45 000 ont accès à une forme d'aide médicale.

Aujourd’hui, en période de pandémie, la Russie paie la facture de cette «optimisation». Alors que la première vague de Covid-19 s’était largement limitée aux grandes villes, déjà bien équipées, la seconde touche surtout la province et les campagnes. Les Russes y sont massivement partis en vacances cet été, alors que les restrictions de déplacement étaient levées à l’intérieur du pays, mais que les frontières extérieures restaient fermées. Le coronavirus est maintenant hors de contrôle dans la province. Et dans les villages, la disparition des FAP, qui auraient pourtant été bien pratiques pour surveiller le virus et contrôler le confinement des malades, fait que tous les patients se déversent dans les hôpitaux des villes, rapidement surchargés. Six ans après s’en être débarrassée, la Russie regrette ses feldscher.