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Libération
Chronique «Vu du monde»

Au Mexique, une autre police est possible

Tous les vendredis, la chronique «Vu du monde» se penche sur un pays émergent. Ce vendredi, le Mexique, où à Neza, dans la banlieue de la capitale, une police de proximité donne des résultats.
Des officiers devant une scène de crime à Neza, en 2011. (STRINGER Mexico/Photo Jorge Dan. Reuters)
publié le 25 décembre 2020 à 16h21

Alors que le président mexicain veut militariser le pays, les citoyens de Ciudad Nezahualcóyotl cherchent à humaniser leur ville. Dans cette grande banlieue de Mexico, où vivent plus d’un million d’habitants, on ne croit pas dans la politique sécuritaire prônée par Andrés Manuel López Obrador, qui mise exclusivement sur l’armée, la seule institution fiable selon lui.

Rompre la dynamique de corruption

A contre-courant de ce modèle éculé, le chef de la police de Neza, surnom donné à la ville par ses habitants, a imaginé un scénario pour déjouer les plans des criminels : forger une alliance entre les autorités et la population pour veiller sur la tranquillité de chaque pâté de maisons. «Dix mille blocs gardés par leurs riverains», résume le rapport de l'organisation México Evalúa, un centre d'analyses des politiques publiques qui s'est penché sur les succès du modèle policier de proximité de Neza.

«Nous avons d'abord restauré la relation entre les citoyens et les policiers», explique Jorge Amador, philosophe et sociologue de formation, à la tête de la police municipale depuis 2013. «Je sais que c'est vite dit, mais c'est un travail immense», pondère-t-il. D'abord, il fallait rompre la dynamique de corruption, d'illettrisme et de dévalorisation des forces de police. Jorge Amador a réduit les horaires de ses effectifs, pour qu'ils passent du temps en famille. Il leur a accordé des facilités pour terminer leurs études secondaires, afin d'élever le niveau éducatif de sa police. Amador a implanté des ateliers de lecture et d'écriture, encourageant les agents à transformer leurs rapports en nouvelles. Un groupe de passionnés s'est attelé à traduire des extraits de Cent Ans de solitude de Gabriel García Márquez en langage codé. Progressivement, les policiers ont gagné de l'estime pour leur travail.

Communication et confiance

Jorge Amador a aussi attaqué les complexes des habitants de Neza, ville autrefois lacérée par une violence endémique : «Ils étaient paralysés face à la criminalité», décrit le chef de la police. Il les a incités à s'impliquer dans la gestion de la sécurité. Les riverains sont en communication directe avec la patrouille de leur secteur et transmettent les problèmes spécifiques à chaque pâté de maisons. Une complicité s'est construite : en bonne intelligence, les habitants sont devenus les meilleurs alliés d'une police qui, désormais, répond à leurs appels.

«Notre système est répulsif pour les criminels», s'enorgueillit Jorge Amador. La situation n'est pas devenue idyllique du jour au lendemain à Neza, loin de là. Mais la ville est en décrochage par rapport aux tendances nationales à la hausse de tous les indices de criminalité. Le contraste est frappant. En quelques années, la confiance des citoyens dans leur police a augmenté de 20% et la plupart des délits graves ont diminué, selon des études indépendantes. De 2013 à 2018, Neza a enregistré une diminution de 12% des meurtres, alors que le Mexique est en passe de battre son record pour la sixième année consécutive, avec plus de 32 000 homicides volontaires en 2020. La militarisation, ce dogme mexicain, a fait long feu…