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Sorcellerie

Covid : au Sri Lanka, une potion pas du tout magique

L’île, dont la ministre de la Santé avait vanté un remède de sorcier, fait face à une recrudescence du coronavirus, prétexte à une dérive autoritaire.
Organisation de la vaccination près de Colombo, la capitale économique du Sri Lanka, samedi. (Photo Dinuka Liyanawatte. Reuters)
publié le 25 janvier 2021 à 7h00

Du miel, de la muscade et un enfumage massif. Dhammika Bandara, menuisier de son état, a trouvé la formule magique : écouler à 12 euros la bouteille un breuvage censé immuniser à vie contre le Sars-CoV-2. Au Sri Lanka, où les récits de miracles séduisent souvent les 22 millions d’habitants, il a réussi à convaincre des milliers de personnes, dont la ministre de la Santé, que la formule lui avait été confiée en direct par la déesse de la transformation Kali.

En décembre, encouragée par les médias pro-gouvernementaux, la foule avait enfreint les mesures de confinement pour se précipiter dans le village du «sorcier» et des personnalités politiques s'étaient fait photographier avec le charlatan. Mais boire la décoction n'a pas empêché la ministre du Développement de la femme et de l'enfant, Piyal Nishantha de Silva, d'être diagnostiquée positive au Covid ces derniers jours, suivie par la ministre de la Santé, Pavithra Wanniarachchi, elle-même. Devant cet échec patent, le ministre de l'Information, Keheliya Rambukwella, a tenu à préciser que «bien que certains parlementaires aient pris ce remède, le gouvernement ne l'approuve pas».

Eau bénite

Pavithra Wanniarachchi, avocate de profession et de confession bouddhiste, s'était déjà fait remarquer au mois de novembre en versant de l'eau bénite dans une rivière pour mettre fin à la pandémie. La ministre de la Santé est un pilier du Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP), revenu au gouvernement depuis les élections de novembre 2019 et la victoire du clan Rajapakse. A peine élu président, Gotabhaya Rajapakse s'est empressé d'asseoir son frère Mahinda dans le fauteuil de Premier ministre. Ce dernier avait été lui-même président du Sri Lanka de 2005 à 2015, deux mandats marqués par le népotisme et l'autoritarisme. Alors secrétaire d'Etat à la Défense, Gotabhaya avait mis fin à vingt-six ans de guerre civile par un assaut contre la rébellion tamoule qui aurait fait, selon l'ONU, plus de 40 000 morts civils.

Manifestation contre les crémations forcées des musulmans décidée par le gouvernement, le 31 décembre à Colombo, la capitale économique.

Photo Ishara S. Kodikara. AFP

Depuis le début de la crise du Covid, les vieux démons autoritaires semblent resurgir sur l'île, où l'économie est dévastée par l'arrêt brutal du tourisme. En décembre, l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (Idea) a pointé l'intolérance croissante envers la minorité musulmane, déjà discriminée après les très meurtriers attentats jihadistes du dimanche de Pâques 2019. Les morts musulmans du Covid-19 ont été incinérés de force, bien que la crémation aille à l'encontre de leurs coutumes religieuses, et certains médias sri-lankais sont allés jusqu'à blâmer les musulmans pour la propagation du coronavirus. L'Idea, une organisation intergouvernementale basée à Stockholm, s'inquiète également d'un «usage excessif de la force» dans la mise en œuvre des mesures sanitaires et du fait que le gouvernement fasse appel à l'armée pour faire respecter les restrictions de déplacement et gérer les centres de quarantaine.

Lignes brouillées

Pour le site hongkongais Asia Times, la démocratie sri-lankaise, déjà minée par le nationalisme bouddhiste cinghalais, glisse dangereusement vers la militarisation. Chamal Rajapakse, frère de Gotabhaya et Mahinda et actuel ministre de la Défense, s'emploie à brouiller les lignes : les conférences de presse de la police sont désormais données par son ministère et le redouté Service de renseignement de l'Etat (SIS) a été placé sous le contrôle d'un militaire. Alors que le gouvernement intensifie son contrôle sur les réseaux sociaux, le réseau d'ONG Free Medias Movement alerte sur le fait que des citoyens ont été arrêtés et interrogés par les forces de sécurité pour avoir critiqué la gestion de la pandémie sur les réseaux sociaux.

Suite à deux foyers d’infection majeurs, une usine de textile et un marché aux poissons, le pays, qui ne déplorait que 13 000 cas et 13 morts en octobre, connaît une brusque accélération de la pandémie, avec désormais un total de 57 000 cas et 278 morts, et les médecins appellent à augmenter le rythme de 13 000 tests PCR réalisés par jour. «En tant que pays, nous avons échoué à gérer le virus et à le garder à l’intérieur de la province de l’Ouest et maintenant il s’est répandu dans tout le pays, a assené vendredi le porte-parole de l’Association des médecins du gouvernement (GMOA). Or, le Sri Lanka a une capacité de soins limitée et nous avons déjà de nombreuses zones à haut risque dans le pays.» Semblant revenir à la réalité, l’Etat a approuvé en urgence, vendredi, le vaccin AstraZeneca, et accepté dans le même temps l’offre de vaccin gratuit faite par l’Inde à tous ses voisins. Les soignants, l’armée, la police et les personnes âgées les plus vulnérables seront prioritaires, a précisé le Président, qui s’est dit prêt à passer également des commandes de vaccins à la Chine et à la Russie.