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Asie

#GenocideSriLanka, un hashtag pour dénoncer les violences contre les Tamouls

Sous ce mot-clé, la diaspora tamoule attire l’attention sur les violences commises par l’Etat sri-lankais depuis la guerre civile, qui a fait des milliers de morts.
Des soldats sri-lankais s'amassent autour du chef rebelle tamoul Velupillai Prabhakaran tandis qu'il est transporté sur une civière à Mullaittivu, le 19 mai 2009. (AP)
publié le 27 janvier 2021 à 18h30

Des milliers de personnes, qui dénoncent les violences passées et présentes commises par les gouvernements sri-lankais successifs. Depuis ce week-end, le hashtag #GenocideSriLanka déferle sur Twitter sous l’impulsion de la diaspora tamoule.

Pour Alan Keenan, analyste pour l'ONG International Crisis Group, cette libération de la parole a probablement un lien avec l'ouverture d'une enquête sur les accusations de crimes de guerre pendant la guerre civile (1983-2009), annoncée par le pays vendredi dernier. «Un comité a été nommé au Sri Lanka afin d'étudier les enquêtes précédentes sur le même sujet. Comme celle-ci, elles ont été lancées suite à des pressions internationales. Mais le problème est que les investigations passées n'ont rien conclu en matière de violations des droits humains par l'Etat», explique l'expert.

Mon père a dû fuir en France dès l'âge de 16 ans pour que sa famille puisse fuir les massacres.<br/>Mes oncles et mon beau-père ont tout abandonné pour tenter de protéger la population.<br/>Mon grand-père a été tué pendant le génocide.<br/>Nous demandons justice.<a href="https://twitter.com/hashtag/GenocideSrilanka?src=hash&amp;ref_src=twsrc%5Etfw">#GenocideSrilanka</a> <a href="https://t.co/kTreIDhSWI">https://t.co/kTreIDhSWI</a>

Une guerre civile très meurtrière

Dans cette île de 22 millions d'habitants, majoritairement issus de l'ethnie cinghalaise, les Tamouls se sentent fortement discriminés depuis l'indépendance en 1948. Dans les années 70 se crée le mouvement des Tigres de libération de l'Eelam tamoul, dont l'objectif est de fonder un Etat indépendant dans le Nord et l'Est où vivent en majorité les Tamouls. En 1983, l'organisation indépendantiste tue treize militaires. Cette attaque signe le début de la guerre civile. S'ensuivent jusqu'en 2009, pendant vingt-six ans, des combats féroces entre les forces gouvernementales et les séparatistes tamouls. Ils auraient fait plus de 100 000 morts.

Les défenseurs des droits humains accusent les forces sri-lankaises d’avoir mené une répression sanglante contre la population tamoule, en tuant au moins 40 000 civils. Des exactions niées par le régime, notamment par le clan Rajapakse, aux commandes du pays entre 2005 et 2015, revenu au pouvoir à la suite des élections de novembre 2019. «Le président actuel, Gotabhaya Rajapakse et ses ministres sont arrivés au pouvoir en disant que les militaires n’ont rien fait de mal. Pour eux, il n’y a donc aucune excuse à présenter à la population, parce que certains d’entre eux ont participé à ces actions meurtrières», explique Alan Keenan.

«Crimes contre l’humanité»

Aujourd'hui, de nombreux Sri-Lankais évoquent un «génocide» structurel qui continuerait toujours. «Je ne sais pas si "génocide" est le bon mot à employer. C'est un terme complexe qui renvoie à un processus radical. Il faudrait plus d'enquêtes pour vérifier cela. Mais on ne peut pas nier qu'il y a de grandes violations des droits humains, de crimes contre l'humanité contre les Tamouls, et également des persécutions à l'encontre de la minorité musulmane, considérée comme une menace, en particulier depuis les attentats de Pâques en 2019», juge l'expert de l'ONG International Crisis Group.

Depuis la fin de la guerre civile, le gouvernement sri-lankais maintient des milliers de soldats dans le Nord et l'Est, contrôlant les terres et les accès à la mer. «Les soldats sont aussi très présents dans les hôtels de ces régions. Ils gèrent l'activité touristique qui fait entrer pas mal d'argent dans les caisses gouvernementales. Ils sont chargés aussi de surveiller les défenseurs des Tamouls, comme les avocats et militants, etc.», explique l'historien Eric Paul Meyer. Les Tamouls réclament justice auprès de leur gouvernement et l'appui des Etats étrangers dans leur combat. «Les familles veulent savoir où sont passés leurs proches disparus durant la guerre. Aucune explication ne leur a été donnée. A l'heure actuelle, certains Tamouls vivent encore dans la terreur», indique l'historien.

En 2015, l'ONU a appelé à la mise en place d'un tribunal spécial hybride associant juges locaux et internationaux pour juger les crimes commis lors du conflit. Dans son rapport, l'organisation internationale listait l'ensemble des exactions perpétrées par les deux camps. Le régime de l'époque et le mouvement des Tigres de libération de l'Eelam tamoul entre 2002 et 2011 sont accusés de meurtres, viols, de torture (simulacre de noyade, chocs électriques, brûlures, suffocation…). Des enfants ont été également enrôlés dans la guerre.

Certains Sri-Lankais souhaitent que les responsables des exactions contre les civils soient jugés par la Cour pénale internationale, comme l’ont été des représentants de la Birmanie, du Congo ou de la Colombie. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, des groupes tamouls continuent de militer pour obtenir leurs propres entités politiques, économiques et sociales. Certains réclament l’indépendance complète des régions où ils sont majoritaires. Le gouvernement rejette en bloc ces revendications. Les observateurs craignent que le comité d’enquête nommé la semaine dernière par le président Gothabaya Rajapakse n’ait pas les moyens d’enquêter. « Les barrières systémiques qui continuent d’exister au sein du système de justice pénale restent un obstacle à une véritable justice » au Sri Lanka, a déclaré Michelle Bachelet, haut-commissaire aux Nations unies, en 2020. En février, comme chaque année depuis la fin de la guerre civile, le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies consacrera une réunion au bilan des droits humains du Sri Lanka.