Les Hongkongais vont-ils s'exiler au Royaume-Uni ? L'opportunité est donnée à 2,9 millions d'entre eux (soit plus de 38% de la population de l'ancien joyau britannique) qui peuvent à compter du 31 janvier demander les nouveaux visas à longs termes évoqués par Boris Johnson en juin dernier et censés leur ouvrir le chemin de la nationalité. L'exode ne sera pas nécessairement massif, mais la main tendue de Londres écorne l'attractivité de la mégapole déjà émoussée par l'instabilité politique et le dynamisme de ses rivales asiatiques.
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Des milliers de Hongkongais ont déjà émigré ces récents mois au Royaume-Uni, et «des centaines au Portugal grâce à des visas d'entrepreneurs ou des visas de revenus passifs [qui exige de justifier d'un minimum de revenus hors du Portugal, pensions, loyer, ndlr]», assure Kieron Norris, directeur général de Golden Visa Portugal.
Sur le front des entreprises, la tendance au départ est lancée. Le nombre d’entreprises non locales, y compris celles dont le siège est en Chine continentale, ayant des bureaux à Hongkong a chuté de 0,2% par rapport à 2019 pour atteindre 9025 en juin dernier, selon des données du gouvernement de Hongkong. C’est la première baisse depuis 2009, qui passe à 2,8% en excluant les entreprises du continent. Sur les 9 025, le nombre d’entreprises ayant un siège régional à Hongkong a chuté de 2,4% à 1 504.
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Ces mouvements ont été particulièrement marqués dans le secteur financier, avec 52 banques et sociétés financières et 24 assureurs qui ont quitté la ville, à l’instar de Vanguard et Motley Fool. Dans le commerce, VF-Corporation mais aussi Versace, Salvatore Ferragus et LVMH – pour ne citer qu’eux – ont soit redéployé leurs activités hors de Hongkong, soit réduit leurs effectifs en faveur de la Chine continentale ou Singapour. Le nombre d’employés dans les entreprises non locales a chuté de 10 000 (à 483 000).
«La question du départ»
Cette tendance découle avant tout de réajustements stratégiques – pour être au plus près du marché chinois ou d’Asie-Pacifique –, et économiques – pour parer les effets du ralentissement et de la pandémie. Elle est également motivée dans une moindre mesure par l’impact de la nouvelle loi chinoise sur la sécurité nationale au nom de laquelle l’opposition politique a été muselée et la liberté d’expression considérablement réduite.
Selon un sondage publié au début du mois par la chambre de commerce américaine de Hongkong, plus de 40% des entreprises interrogées sont pessimistes sur leurs perspectives pour 2021, et un tiers a estimé que la ville était devenue moins compétitive en tant que centre d’affaires mondial au cours de l’année écoulée.
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La loi rédigée par Pékin pour faire cesser les manifestations prodémocratie est entrée en vigueur le 1er juillet 2020. Elle a ramené la ville «du chaos à la paix», selon les termes du président chinois Xi Jinping. Mais elle a aussi conduit au gel de comptes bancaires d'opposants et à la fermeture de sites internet, de quoi instiller des doutes sur la robustesse de l'état de droit et la libre circulation de l'information qui ont fait le succès de Hongkong en tant que centre financier international.
«Il n'y a pas d'impact immédiat sur mon entreprise, mais bientôt se posera pour moi la question du départ, car je ne veux pas que ma fille grandisse dans un climat de répression», témoigne une entrepreneuse française. «Hongkong reste toujours aussi sexy si on fait abstraction du risque politique», commente pour sa part Vivian Mériguet, fondateur de l'agence de marketing digital WILD. Mais justement, des risques nouveaux sont apparus à Hongkong.
«Mauvais signaux»
Pour illustrer «les mauvais signaux», Vivian Mériguet cite de récents refus de visa qui «donnent l'impression que Hongkong veut faire entrer moins d'Occidentaux sur sol». Il dit aussi avoir été «refroidi» par le retrait de l'application TikTok de l'archipel en juillet. «Le risque de voir des plateformes coupées est là, c'est problématique et cela crée de l'instabilité pour les outils digitaux.»
Les rumeurs sur une fin de l’arrimage du dollar hongkongais au dollar américain ont par ailleurs alimenté d’autres incertitudes et poussé Vivian Mériguet comme de nombreux autres à convertir une grande partie de leur trésorerie en billets verts.
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Le conflit américano-chinois constitue en outre «un très gros problème pour Hongkong», souligne Christine Loh, spécialiste de l'environnement et la durabilité à l'université des sciences et technologies de Hongkong. La ville «est écrasée entre deux boxeurs. Les lois de Singapour sur la sécurité nationale sont beaucoup plus strictes que celles de Hongkong, le problème est donc une question de perception et il est de nature géopolitique».
Ces facteurs conjoncturels n’expliquent toutefois pas à eux seuls la perte de vitesse de Hongkong. La ville fait depuis plusieurs années pâle figure comparée au dynamisme technologique de ses voisines chinoises Shenzhen et Canton ou à la soif d’innovation de Singapour et son gouvernement.
Silicon Valley dans le sud
Selon Simon Lee, enseignant à l'université chinoise de Hongkong, l'ex-colonie britannique pâtit non seulement d'une lourdeur bureaucratique et de «fonctionnaires plus doués pour suivre les instructions que pour innover», mais aussi de nombreux écueils lorsque des investisseurs étrangers envisagent de venir, tels que le coût du foncier et l'absence d'incitation fiscale particulière contrairement à celles offertes par Singapour et Shenzhen.
C’est ainsi qu’Uber reste interdit à Hongkong alors que Didi se développe en Chine ou Grab en Asie du Sud-Est. Cela explique aussi pourquoi Hongkong tarde depuis des années à déployer ses véhicules autonomes alors que Shenzhen vient de commencer des essais.
Même constat de pesanteur en matière de finance verte. «La capacité inhérente de Hongkong appartient au secteur privé», relève Christine Loh. Or, selon elle, «le gouvernement devrait être un meilleur meneur pour que le secteur financier de Hongkong joue un rôle important dans la transition verte pour la Chine et l'Asie». L'objectif de neutralité carbone de Pékin pour 2060 ainsi que son projet de Silicon Valley dans le sud du pays devraient justement donner au centre financier hongkongais l'occasion de prouver sa compétitivité.