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Agir pour le Vivant: tribune

Apprendre à coexister avec le vivant

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Agir pour le vivant. Le mot d’ordre est-il d’actualité alors qu’il semblerait, avec l’actuelle pandémie, que la seule vie à sauver soit celle des humains? «Quoi qu’il en coûte», a-t-il été déclaré. Quoiqu’il en coûte à notre économie, bien sûr, mais, tout aussi bien, au reste du vivant.
Dans un orphelinat pour rhinocéros d'Afrique du Sud, dans les environs de Mokopane, en janvier. (Michele Spatari/AFP)
par Catherine Larrère
publié le 8 mai 2021 à 12h42

En novembre 2020, le Danemark, premier producteur mondial de fourrure de vison, a procédé à l’abattage de la totalité des visons élevés sur son territoire après que quelques élevages ont été identifiés comme contaminés par une version mutée du Sars-CoV-2, qui avait déjà atteint plusieurs employés d’abattage. Cette extermination massive de 15 à 17 millions d’animaux n’a guère soulevé d’émotion. Il est vrai que la façon dont ils avaient vécu jusque-là – entassés par milliers dans la promiscuité, privés de liberté, promis à la mort – n’avait pas non plus beaucoup retenu l’attention. Savions-nous même qu’ils existaient avant d’apprendre qu’on les avait massacrés ?

Pourtant nous aurions pu, dans notre propre intérêt, nous inquiéter de leurs conditions d’élevage : c’est dans ces concentrations d’animaux à des fins de production industrielle que se créent les conditions favorables à l’apparition, à la dissémination et à la mutation des virus. Aussi leur abattage massif ne signifie-t-il nullement la fin des modes de transmission du virus, il tendrait à plutôt à les perpétuer. Plus nous croyons préserver la vie des humains au prix d’abattages massifs, plus nous renforçons la chaîne de la transmission pandémique : surpopulation, enfermement, mobilité contrainte, surmortalité concentrée. Plus, par notre indifférence, nous rejetons les animaux à l’extérieur du monde dans lequel nous croyons vivre, plus nous multiplions les réactions et les rétroactions qui lient nos activités à celles de toute la planète. Les zoonoses, ces maladies qui se transmettent d’une espèce à une autre, et qui apparaissent d’autant plus facilement que les activités humaines bouleversent les conditions d’habitation des vivants et mettent en contact des animaux jusque-là éloignés les uns des autres, le montrent bien : la santé humaine ne peut être séparée ni de celle de la faune, ni de celle des écosystèmes, elles ne font qu’un. Là où l’on s’imagine mettre les humains à part des vivants, il y a la réalité de leur unité et de leurs interactions.

Faute de pouvoir éradiquer le virus, on a exterminé les animaux qui en étaient porteurs, multiplié les barrières, et tenté d’accroître les distances. Mais en croyant séparer les hommes des animaux, on n’a fait qu’accentuer les séparations entre les humains : frontières, isolement divers, chasse aux migrants rejetés comme des intrus. Comment maintenir à l’extérieur, comme on a tenté à tout prix de le faire, un ennemi qui était déjà dans la place ? Cette politique a échoué : le virus est toujours là. Est-ce pour l’avoir compris qu’après lui avoir déclaré la guerre (à lui qui n’avait nullement l’intention de la faire) il a finalement été décidé qu’il fallait vivre avec lui ? On peut craindre que ce «vivre avec» ne soit rien d’autre qu’un «vivre malgré», qu’une façon de plus de couper la vie en deux. Il y a la vie qui «nous» est promise, cafés et terrasses ouvertes, réunions entre amis, collectifs de travail, voyages à l’étranger… Et il y a, dans un monde parallèle, la réalité de la pression sur les hôpitaux, sur les soignants et sur les malades, ceux qui y vivent et qui y meurent.

Vivre avec le virus, et non pas à part de celui-ci et de ceux qui peuvent en être porteurs, humains comme non humains, ce serait vivre autrement, renoncer aux prétentions de contrôle si caractéristiques de l’arrogance humaine, comprendre enfin, comme nous l’apprennent de nombreuses enquêtes anthropologiques sur nos rapports sociaux aux animaux, que la meilleure façon de se protéger des virus dont ils peuvent être porteurs est de vivre à leur côté et de partager avec eux une façon d’habiter le monde fondée sur l’échange et les interrelations. Il ne s’agit donc ni de multiplier les distances ni de les nier. Il faut savoir garder la bonne distance.

Bonne distance entre les humains, alors que la pandémie a révélé l’extrême inégalité sociale concernant les milieux de vie et la capacité à respecter la distance conseillée et donc les risques de contamination. Atteignant les plus défavorisés, la pandémie a ainsi accru les séparations. Bonne distance entre les animaux qu’ils soient domestiques – donc pas d’élevages industriels qui multiplient les risques d’émergence et de contamination de germes de toutes sortes – ou sauvages : que le Covid proviennent de chauves-souris, hôtes habituels du virus, ne fait pas de tous les animaux sauvages un danger potentiel, mais signifie qu’il faut cesser d’empiéter toujours plus sur les zones sauvages. C’est notre façon d’habiter le monde qu’il faut modifier, en apprenant à coexister avec les vivants, pas en voulant y rester tout seuls.

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En attendant le prochain festival d’Agir pour le vivant, qui se tiendra à Paris du 3 au 6 juin autour du thème de la ville, et le rendez-vous à Arles fin août sur le thème des territoires, la rédaction de Libération, en partenariat avec les éditions Actes sud et Comuna, propose à ses lecteurs tribunes, interviews et éclairages, ainsi qu’une sélection d’articles sur le thème de la biodiversité. A retrouver ici.