Le festival «Au Bonheur des Mômes» du Grand-Bornand fêtera du 21 au 26 août son trentième anniversaire. Partenaire de l’événement mêlant écologie, culture et engagement citoyen, Libération publiera tout l’été articles, interviews et tribunes sur les thématiques phares du rendez-vous savoyard.
«Ici, on ne prend les enfants ni pour des imbéciles, ni pour des porte-monnaie sur pattes», aime rappeler Alain Benzoni, l’énergique directeur du rendez-vous aoûtien. Au sein d’une programmation foisonnante, il donne sa place à la création en accompagnant des œuvres dont le public du Grand-Bornand aura la primeur. Parmi elles, «Mobil’home», de Bettina Vielhaber, «Sage comme un orage» de Melanie Baxter-Jones, et «Les déambulations de M. et Mme Bonheur». Trois spectacles pour une mise en garde aux plus jeunes : «Ne grandissez pas trop vite !»
«Les tout-petits sont un public à part, qui exige une grande liberté»
Bettina Vielhaber est marionnettiste et directrice de la compagnie de l’Echelle.
Le spectacle que vous présentez au Grand-Bornand, «Mobil’home», s’adresse aux bébés, dès six mois. Comment créer pour de si jeunes enfants ?
C’est un public à part, délicat et fragile, qui exige une grande liberté. Il faut être sur le qui-vive, prêt à réagir à un pleur, à une peur, à une mouche qui passe… Le jeu ne peut pas être réglé comme une horloge. Les bébés n’ont pas de filtre : ils absorbent tout comme une éponge, et en même temps, ils renvoient directement leurs émotions. On sait donc immédiatement s’ils sont emportés ou s’ils décrochent. Un spectacle de trente minutes représente une durée énorme pour un enfant de cet âge, mais si le rythme d’images et de sons est adapté, l’attention est là. Cette capacité extrême de concentration m’impressionne.
Pourquoi est-il essentiel à vos yeux que le spectacle vivant soit aussi à destination des plus jeunes ?
Le spectacle vivant touche aux tripes. C’est évident chez les bébés, qui se comportent autrement qu’à leur habitude quand ils sont au spectacle – cela représente d’ailleurs souvent une découverte pour les parents. Montrer différentes manières d’être et de communiquer est une richesse énorme, qui doit être offerte dès le plus jeune âge. C’est pourquoi j’ai spécifiquement adapté «Mobil’home», qui sera créé au Grand-Bornand, à des lieux non théâtraux tels que les crèches. L’ambition est de garder le lien avec ce très jeune public, qui est difficile, d’un point de vue logistique, à déplacer dans une salle dédiée.
«Le théâtre a besoin de symboles»
Melanie Baxter-Jones est autrice et comédienne.
Dans «Sage comme un orage», «spectacle de théâtre, chanson et musique pour tous, de 7 à 115 ans», vous jonchez le sol de papier de soie. Pourquoi ?
Ce sont des mouchoirs blancs qui expriment la tristesse de la petite Mercy, personnage central de la pièce. Et dans le récit que cette fillette un peu différente des autres adresse à son ami Ben, comme pour se protéger du monde, ces papiers de soie traduisent aussi les adieux de l’humanité à une Terre dévastée. La légèreté du matériau permet facilement de le déplacer, le pousser, le jeter à la figure… J’aime que la lumière accroche à ses aspérités, faisant apparaître une palette de couleurs, et une blancheur moins homogène qu’attendue. Au-delà du symbole, choisir comme décor et accessoire ce papier peu onéreux et facile à transporter sert une ambition pragmatique, qui me tient à cœur pour chacune de mes pièces : pouvoir jouer partout, dans de grands théâtres mais aussi dans des gymnases ou des centres sociaux, en opérant une transformation de l’espace. Quand je pars en tournée, tout le décor tient dans ma voiture !
Comment votre dernière création aborde-t-elle le handicap et la différence, thèmes récurrents de votre travail ?
Le théâtre a besoin de symboles. Dans «Sage comme un orage», le handicap est rendu visible par une «protubérance» à la jambe de Mercy, à l’extérieur de son corps, qui s’allume parfois, et qu’on pourrait trouver belle. Bien sûr, nous sommes dans le registre de la fable, le handicap que je fabrique ici n’est pas défini, il n’a pas de nom. Il est physique, mais il prend une forme aussi mentale et sensorielle par moments.
«Si les enfants n’aiment pas, ils se tirent !»
Françoise Aubry, aka Mme Bonheur présente Les déambulations de M. et Mme Bonheur.
À quelques petits mois de la trentième édition du Bonheur des mômes, André et Françoise Aubry, couple à la ville et duo de clowns – ils incarnent avec bonhomie depuis près d’un quart de siècle M. et Mme Bonheur – planchent «à fond» sur leur prochaine apparition au Grand-Bornand. Pour ces incontournables de l’événement, que le public retrouve chaque année aux quatre coins du village montagnard, le défi est de se renouveler tout en restant fidèles à leurs personnages iconiques. Cette année, au côté de leurs voiturettes à bretelles qui se portent façon bouée, une caravane miniature, à hauteur de nombril, sera du voyage. Les petits pourront s’asseoir pour y découvrir une farce, tandis que les adultes pourront regarder la scène d’en haut.
Ce double dispositif ne doit rien au hasard : Françoise Aubry aime «regarder les parents qui aiment regarder les enfants». Le public familial, pourtant, n’est pas des plus dociles. «Les mômes ne font pas de cadeau, il n’y a pas de fausse politesse avec eux. S’ils n’aiment pas, ils se tirent, tout simplement», souligne la clown. «S’adresser au jeune public exige de ne pas avoir d’ego surdimensionné», confirme le directeur du festival. Pas simple, mais stimulant. Pour Françoise Aubry, un clown est un poète qui n’a pas peur de faire rire. Quelqu’un qui a déposé ses valises, qui est libre. «Ce n’est pas gagné à tous les coups, mais quand on a mis nos costumes, attaché nos ceintures, les retours sont immédiats. Et si les gens ont la banane, alors c’est parti !»