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Libération
Compte-rendu

Au Forum de l’inclusion économique à Avignon, une industrie culturelle en quête de renouvellement

Forum de l'inclusion économiquedossier
Mardi se tenait dans la cité des Papes une grande rencontre autour de l’inclusion économique dans la culture et les industries créatives. Compte-rendu des débats, de l’égalité femmes-hommes à la créativité ou la mobilité.
publié le 15 juillet 2022 à 11h26

Avancer sur les questions de l’inclusion, ouvrir la création publicitaire ou artistique à d’autres publics, donner une chance aux banlieues, aux personnes handicapées, à tous ceux qui sont loin des codes du travail… «Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a encore du pain sur la planche», a souligné un participant au premier Forum de l’inclusion économique dans la culture et les industries créatives qui s’est tenu mardi, à l’université d’Avignon, animé par Fabien Claire, directeur de la rédaction de News Tank.

Comment créer des passerelles, toucher ces jeunes qui ne pensent pas que ces métiers leur sont accessibles ? Moussa Camara a créé les Déterminés, une structure qui vise à promouvoir l’émancipation des jeunes dans les quartiers populaires, avec un dispositif au sein des entreprises. «Ce qui compte c’est l’humain et l’envie, explique Moussa. Ces métiers manquaient de créativité. Or, ces parcours de vie différents enrichissent la créativité. Dans le secteur de la publicité, ce n’est pas évident. Plein de jeunes se disent : “Ce n’est pas pour moi.” Il n’y a pas d’exemples qui les précèdent. On a voulu créer des opportunités. Il fallait informer, mettre en confiance et accompagner. Cela prend du temps. Il faut faire évoluer les gens.»

Gilles Fichteberg, cofondateur de l’agence Rosa Paris, réagit aussitôt. «On apprend en marchant. Le dernier kilomètre est difficile, le premier tout autant. L’idée était de connecter des jeunes à la crème de la publicité, favoriser leur engagement en alternance et en contrat CDD et CDI. Dix-huit d’entre eux sont partis en alternance dans des agences depuis cinq mois. La réussite ce sera la massification, en amener davantage au fil des ans. L’Afdas nous accompagne, on a un peu de casse, mais à 80%, c’est une réussite.» Moussa Camara insiste enfin sur ce «changement état d’esprit. J’espère que cela va pousser beaucoup plus d’entreprises à agir, ce qui, finalement permettra d’avoir une société plus apaisée. L’intégration est essentielle». Et Gilles Fichteberg de conclure : «On a affaire à des jeunes déscolarisés. On bosse avec eux sans préjugés.» Dans la salle, une responsable associative cite Nelson Mandela : «Je n’échoue jamais : soit je réussis, soit j’apprends.»

«L’entre-soi, c’est une seule vision du monde»

Place à Catherine Jean-Joseph Sentuc, consultante en production audiovisuelle sur les questions de culture et diversité. Elle a travaillé pour Netflix en tant qu’Inclusion Diversity program Manager et mis en place un programme inclusif. Elle souligne à quel point les gens ont l’habitude de travailler avec leur propre réseau. «Les décideurs font de l’entre-soi et ne s’ouvrent pas aux autres, laissant ainsi une partie de l’imaginaire français en jachère. Si on ne le fait pas c’est une faute professionnelle. L’entre-soi, c’est une seule vision du monde. Les gens ont pour habitude de dire : je ne suis pas contre la diversité et j’en fais tout le temps, chacun d’entre nous pense le faire, mais non. Il faut d’abord parvenir à l’acceptation de l’autre puis à l’engagement, et enfin à l’action. On court tous après l’audience, cela élargira le gâteau. En faisant appel à ces gens qui ont des voix différentes et toucheront d’autres publics. Les talents sont là, mais j’en ai vu beaucoup partir à la poubelle», déplore Catherine Jean-Joseph Sentuc.

Une autre expérience : celle de Bruno Lajara, directeur de l’Envol, une «classe départ». Bruno Lajara travaille dans le nord de la France, où ont eu lieu des crises successives, de la paupérisation, avec le bassin minier du Pas de Calais. Il s’est appuyé sur un exemple brésilien, où des artistes sont restés dans des usines à travailler avec la population dans les favelas. «Le but, c’est la reprise de formation ou d’emploi. On se consacre aussi à la mobilité. Beaucoup de jeunes n’ont pas accès aux soins, à un appartement, ont connu des épisodes de fortes violences fortes. On dispose d’un hectare de terre pour lancer une école de transition agroécologique. On fait face à un vieillissement des intermittents. Il faut renouveler la population en l’ouvrant davantage.»

Retrouver toutes les tribunes et articles liés au forum dans notre dossier

Les médias ne sont pas les derniers concernés par la question de l’inclusion. Pascal Guénée, président de la conférence des écoles de journalisme, directeur de l’institut pratique du journalisme Paris Dauphine, le dit clairement : «On ne rencontre jamais quelqu’un qui nous dit : la diversité, ce n’est pas important.» Il est conscient du rôle que les médias ont à jouer dans «un journalisme inclusif», une autre manière de traiter de l’information. «Il faut donner un premier coup de pouce à un public que des rédactions ne sont pas prêtes à accueillir. Depuis vingt ans, il y a eu des progrès réels.» Ce sujet-là sera au cœur des Etats généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes, les 3 et 4 octobre à Paris.

A propos du journalisme, constate Pascal Guenée, les deux premiers mots qui viennent sont «utilité sociale» et «précarité». «Entrer dans le métier, tout le monde ne peut pas se permettre ce luxe-là.» Le métier passion n’excuse pas tout, il faut réfléchir à de meilleures rémunérations (surtout pour les pigistes)… Enfin, que peut-on changer dans l’éditorial ? «Les jeunes ont de plus en plus envie de donner la parole à des gens éloignés des médias. Les publics éloignés de la formation sont aussi éloignés de la démocratie», conclut le journaliste.

Les femmes «effacées» de l’histoire

Pour clore cette journée, une table ronde autour de «L’égalité femmes hommes, l’urgence d’agir» était organisée par Libération. Yoann Duval, rédacteur en chef adjoint, a débuté ainsi : «Chaque année les chiffres parlent. Dans le spectacle vivant, l’écart salarial entre les hommes et les femmes est de 12%. Seules 38% des femmes atteignent les postes les plus élevés dans les établissements publics.» Et point de directrice dans les postes prestigieux comme le Théâtre national de Strasbourg, Chaillot ou à la Comédie Française… Comment favoriser l’inclusion et sensibiliser à cette question ? Une question reprise par Aurore Evain, autrice, metteur en scène et chercheuse, qui souligne à quel point les créatrices ont été «effacées» au cours de l’histoire. «Ce “matrimoine”, dit-elle, est un enjeu politique important. Quatre cents ans avant la Fontaine, il y avait des autrices qui ont écrit des œuvres jouées à la comédie française. Il y a trente ans, quand je faisais des études théâtrales, je n’imaginais même pas que des femmes avaient écrit du théâtre avant Marguerite Duras. En découvrant des premières artistes comme Madeleine Béjart, j’ai découvert ces autrices, mot qui existe depuis l’antiquité et à qui on a fait la guerre.»

Pour conclure, la parole a été donnée à Courtney Geraghty, directrice du théâtre de la Croix-Rousse à Lyon. «Les images qui m’ont forgée étaient purement masculines. Quand je cherche à programmer des artistes, cela va être majoritairement des hommes, pourtant, il existe des femmes tout aussi talentueuses. Alors, je dis : il faut que je sois à parité. Je n’y déroge pas. Le seul moyen d’y arriver, c’est par les chiffres et les quotas.»