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Le procès du siècle

Bruno David: «Nous perdons notre capacité d’observation»

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Pour le naturaliste, l’homme s’est déconnecté de la nature. Et regarde, sans comprendre ni réagir, la biodiversité disparaître petit à petit.
La moitié des moineaux de Paris ont disparu depuis quinze ans. «Ce n’est pas une hécatombe, mais comme on ne voit pas les choses, on vit aussi une forme d’amnésie culturelle.» (Yvan Yang/Getty Images)
publié le 26 janvier 2022 à 16h06
(mis à jour le 26 janvier 2022 à 16h27)

Se trouve-t-on face à une extinction des espèces animales ? La sixième… «Les observations montrent une disparition de certaines espèces. Il faut compter 5% chez les invertébrés, explique Bruno David, biologiste et président du Muséum national d’histoire naturelle (1). Pour les mollusques, les taux sont d’environ 10% et c’est plus inquiétant. Entre 500 000 et un million d’espèces pourraient s’éteindre dans les décennies qui viennent. Si on fait référence aux grandes crises du passé, on avait alors 30% d’extinction.»

«Par-delà les statistiques, l’autre moitié du problème, poursuit le biologiste, c’est la vitesse à laquelle on s’engage sur cette tendance». Il pointe ainsi cinq grands facteurs qui participent au déclin. L’occupation des espaces, l’artificialisation des écosystèmes, la surexploitation des ressources, la pollution de l’air et du sol, les espèces invasives, et enfin, le changement climatique. Tous ces problèmes sont liés à l’homme. Le biologiste reste néanmoins optimiste. «Nous sommes à l’origine du problème, donc de la solution, ce n’est pas une éruption volcanique, ni une météorite qui avance vers nous. Il faudra se retrousser les manches. Il n’est pas trop tard pour agir. Nous avons les moyens d’intervenir sur les facteurs de pression : réduire la surpêche, la pollution, le niveau de dégradation de l’écosystème. On dispose de leviers d’action, ce qui fait que la biodiversité peut réagir positivement. Mais on reste autistes vis-à-vis de nos systèmes économiques. On n’a pas envie de changer», dit-il.

«Amnésie environnementale»

Et de détailler ces épisodes comme les canicules, les crues cévenoles ou encore les incendies en Californie qui ont marqué les esprits, mais ont fait changer peu de choses. Un autre exemple ? La moitié des moineaux de Paris ont disparu depuis quinze ans. Il évoque cette «amnésie environnementale». Ce sont, raconte-t-il, les «déclins qui sont plus inquiétants. On a également perdu plus de la moitié des oiseaux des plaines agricoles. Ce n’est pas une hécatombe, mais comme on ne voit pas les choses, on vit aussi une forme d’amnésie culturelle».

Bruno David parle d’amnésie car, selon lui, il y a cent ans, les gens détenaient plus de connaissances : «Mon grand-père savait reconnaître plein de plantes. On s’est déraciné de la nature. Une déconnexion s’est installée. Dans les dessins animés de Disney, les scènes dans la nature et celles avec des espèces sauvages ont nettement diminué. Nous perdons cette capacité d’observation. Par exemple, entendre le chant des oiseaux au mois de janvier, c’est important.»

Bruno David insiste : on ne sait plus faire attention au monde qui nous entoure. Les générations qui montent sont rivées sur leur écran… Or, l’observation est essentielle. «Quand on observe on est confronté à des faits, cela permet de forger une éthique, détaille le président du Muséum national d’Histoire naturelle. Elle nous ancre dans la nature. J’ai peur que les générations qui viennent ne sachent plus observer, même s’ils sont plus sensibilisés aux enjeux environnementaux il faudrait les ramener à plus d’observation. Laisser son portable dans sa poche pour regarder la diversité des petites plantes qui poussent sur les trottoirs parisiens.»

Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. «Libération», partenaire de l’événement, proposera jusqu’en mars, articles, interviews et tribunes. Thématique du mois de janvier : le temps. Et ce lundi 31 janvier : «Trop tard pour le monde du vivant ?» Informations et réservations sur le site du musée.