Menu
Libération
Solutions Solidaires: le débat

Crise sanitaire: l’heure de régler les fractures

Solutions solidairesdossier
Sociaux, générationnels, géographiques mais aussi idéologiques... Les fossés se sont creusés pendant l’épidémie. Les Journées Solutions Solidaires, les 8 et 9 février, sont un espace d’échange d’idées et d’expériences pour tenter d’y remédier. A suivre le débat organisé par Libération.
(Xavier Lissilour/Libération)
publié le 5 février 2022 à 23h50
(mis à jour le 9 février 2022 à 10h46)
A revoir le débat avec nos invités Jean-Laurent CASSELY, journaliste et essayiste, Elena SCAPPATICCI, rédactrice en chef d’Usbek & Rica et Valérie PEUGEOT, présidente de Think Tank Vecam.

La France est fatiguée. Fatigue physique, fatigue démocratique, fatigue morale, fatigue éthique… C’est la conclusion du comité de douze experts en sciences sociales constitué par la CFDT et la Fondation Jean-Jaurès pour éclairer les conséquences de la crise pandémique. Et quand la société est fatiguée, le corps social lâche et des fractures apparaissent. Le grand corps malade de la nation voit apparaître des fissures entre chacune de ses composantes : jeunes et vieux, riches et pauvres, bien nourris et condamnés à la malbouffe, urbains et ruraux, et, nouveauté, pro et anti-vaccin. Les cinq plus grandes fortunes de France gagnent autant que 40 % de la population selon Oxfam, tandis que les inégalités sociales se sont aggravées pour les personnes déjà en situation de précarité, comme le souligne l’Observatoire des inégalités.

«Nouveau mode de cohabitation»

La crise sanitaire a accentué les vieilles fractures et en a fait émerger de nouvelles. Ainsi, pour le sociologue François Dubet, nous sommes passés de conflits opposant des populations plutôt homogènes (ouvriers contre bourgeois, gauche contre droite) à des revendications individuelles : «Désormais, les clivages ont explosé et nous vivons dans un régime d’inégalités multiples. Les protestations et les mouvements sociaux se sont multipliés au fur et à mesure que se sont singularisées les expériences des injustices. Parce que les inégalités sont de plus en plus individuelles, elles sont vécues comme des manifestations du mépris, du fait d’être invisible ou trop visible, de n’être jamais reconnu et entendu.» Les gilets jaunes réclamaient une baisse du prix des carburants mais aussi une reconnaissance de leur mal-être.

La fracture entre générations s’est coagulée autour du dérèglement climatique, les jeunes «écowarriors» accusant les boomers d’avoir épuisé les ressources naturelles. Les confinements ont encore aggravé ce fossé, les plus âgés reprochant à une jeunesse perçue comme insouciante un comportement incivique (pas de masques, des fêtes sauvages). «Si l’on n’y prend pas garde, c’est une fracture générationnelle qui pourrait s’installer dans nos sociétés et les miner, au même titre que la fracture sociale. Elle oppose les aînés – qui ont pu profiter de conditions de vie favorables et inchangées – à tous ceux qui vont subir les changements de long terme, vont devoir trouver un nouveau mode de cohabitation avec les milieux et modifier profondément leurs conditions d’existence», alerte Judith Rochfeld, professeure de droit à la Sorbonne.

«Théorie de la “réactance”»

La fracture entre provaccin et antivax née de la crise sanitaire oppose, souvent avec violence, collègues, amis, membres du cercle familial, et débouche parfois sur des ruptures nettes. Pour Pascal Marchand, sociologue à l’Université de Toulouse interrogé par France 3 Occitanie, les antivax n’ont en commun qu’une seule chose, le sentiment d’avoir été privés de liberté : «C’est la théorie de la “réactance” qui nous pousse à mettre en œuvre des ressources intellectuelles et une énergie considérable pour recouvrer cette liberté.»

Ces fractures sont celles d’un pays qui a profondément changé depuis la fin des Trente Glorieuses, comme le montrent Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop, et Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste spécialiste des modes de vie et des questions territoriales, dans leur essai la France sous nos yeux. Economie, paysages, nouveaux modes de vie. Ce livre a inspiré les organisateurs des quatrièmes Journées Solutions Solidaires des 8 et 9 février dont le thème est «Quelle France solidaire demain ? Traits, portraits et solutions». Durant deux jours, acteurs locaux, responsables politiques, journalistes, intellectuels et militants associatifs vont échanger leurs idées et confronter leurs expériences sur le rapport à la santé, à l’alimentation, au télétravail, à l’entreprise ou encore à l’écologie.

«La précédente édition était consacrée à ce qui se passe en période de pandémie. Cette année, nous pensons que nous sommes proches d’une porte de sortie. L’idée est de se poser la question des fractures, réelles ou supposées, qui peuvent exister dans le pays consécutivement à cette épidémie. La crise a-t-elle été un révélateur de fractures émergentes ? Comment inventer des solidarités nouvelles face à ces lignes de tension inédites ?» s’interroge Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde et initiateur de ces journées. Une question cruciale à laquelle les candidats à la magistrature suprême feraient bien d’apporter des réponses.