Menu
Libération
Agir pour le vivant: «l’Albatros hurleur»

Des aires marines protégées pour l’oiseau fantôme

«L'Albatros hurleur»dossier
Chaque semaine sur notre site, «l’Albatros hurleur», une chronique écologique de David Grémillet, directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS-La Rochelle Université). Aujourd’hui, les migrations discrètes du puffin yelkouan.
Des puffins yelkouan, à la surface de la mer. (Gerdzhikov/Getty Images)
par David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’études biologiques de Chizé
publié le 12 février 2022 à 11h39

Le puffin yelkouan (1) glisse dans un rayon de lune, une nuit de février. Posté sous les pins d’Alep, je ne distingue qu’une silhouette effilée apte au vol à voile, mais les ouvrages naturalistes décrivent un corps en fuseau sombre et blanc, lourd comme un pigeon ramier. L’albatros miniature plane en caressant les flots de la pointe d’une aile, puis se pose à la surface de la Méditerranée. Il y attendra le coucher de lune et l’épaisse noirceur pour rejoindre Port-Cros. Timide, le puffin yelkouan niche en terrier sur les îles d’Hyères et de Marseille, où seuls d’étranges cris rauques trahissent sa présence nocturne en résonant dans les calanques. Mais d’où vient l’oiseau fantôme, et quelle vie mène-t-il en mer, loin de nos yeux ?

Oiseau marin très français

Les balises électroniques dont nous équipons certains d’entre eux révèlent leurs voyages maritimes. Quand ils ne nichent pas sur les îles françaises, certains puffins sillonnent la Méditerranée occidentale, de l’Italie à l’Espagne, avec une prédilection pour le golfe du Lion au large de la Camargue. Cependant, la majorité d’entre eux partent beaucoup plus loin, et migrent jusqu’en mer Egée et en mer Noire. Deux fois par an, les ornithologues turques voient ainsi défiler des milliers de puffins dans le Bosphore.

Les sachant fins voiliers, nous supposions que les puffins poursuivaient leurs voyages au long cours pendant la saison de reproduction, saluant parfois Naples ou Malaga. Quand leurs trajets suivis par GPS se sont affichés sur les écrans de nos ordinateurs, nous avons découvert un oiseau marin très français, et largement côtier : en quittant Port-Cros pour des voyages d’un à deux jours, les puffins mettent le cap à l’ouest, frôlant la côte sud de Porquerolles pour continuer vers Marseille et dans le golfe du Lion, parfois jusqu’à Port-Vendres. Depuis les plages languedociennes, seuls les observateurs avertis détectent les puffins yelkouan, mais les oiseaux furtifs sont bien là. En bandes, ils traquent les petits poissons et les crevettes minuscules, qu’ils capturent avec un bec effilé et crochu, sous la surface ou en plongeant jusqu’à 30 mètres de profondeur. Ils se propulsent alors grâce à leurs ailes à moitié repliées.

Se toiletter et jaser

De manière essentielle, nos études démontrent que les puffins yelkouan affectionnent les aires marines protégées, notamment les espaces marins dédiés aux parcs nationaux des Calanques et de Port-Cros. Ils utilisent ces zones pour se reposer, se toiletter et jaser à la surface de l’eau, mais aussi pour pêcher tout près de leurs sites de reproduction insulaires. Alors que ces parcs nationaux ont été principalement établis afin de protéger la faune et la flore du fond de l’eau, nous découvrons ainsi leur grande valeur pour la conservation des espèces mobiles, comme le puffin yelkouan.

Cette protection est bienvenue car l’espèce est particulièrement vulnérable aux captures accidentelles sur les palangres de pêche, aux rats et aux chats qui envahissent les îles, des menaces auxquels s’ajouteront les impacts potentiels des futures éoliennes en mer. Les populations de puffins yelkouan déclinent inexorablement en Méditerranée française.

(1) La dénomination «yelkouan», dérivée du turc, fait référence aux cris des oiseaux qui rappellent des lamentations.