Le 12 juillet, en partenariat avec le Festival d’Avignon et Avignon Université, l’Afdas organise le premier Forum de l’inclusion économique dans la culture et les industries créatives. «Libération», partenaire de l’événement, publie sur son site tribunes, reportages et enquêtes sur le sujet.
Pouvons-nous partir du postulat que nous aspirons collectivement à une société égalitaire ? «Liberté, égalité, fraternité», dit notre devise nationale. Mais cette même devise semble contenir une contradiction intrinsèque déjà annonciatrice d’une promesse qui ne sera pas tenue. «Egalité, fraternité» : ne serait-ce pas un oxymore ? Quid des femmes dans la notion de fraternité ? Car même si l’usage du mot fraternité selon le Larousse englobe toute l’humanité, sa racine n’en demeure pas moins frater (frère). Et c’est bien là, je pense, le cœur du problème.
L’enjeu ne se limite pas à une simple question de langage. Car le langage c’est bien plus que juste des mots, c’est le socle de notre communication : un référentiel commun. J’avais beau avoir une conscience féministe dès l’enfance, cela ne m’a pourtant jamais choqué que tous les textes au programme au lycée soient écrits par des auteurs masculins ou que les statues dans l’espace public ne représentent que des hommes historiques. Cette prise de conscience est venue progressivement comme une lente déconstruction de la culture générale dominante.
Déclic
La même problématique se présente dans l’exercice du métier de directeur·ice de théâtre. Depuis que j’ai été saisie de passion pour le théâtre, les expériences marquantes de mes années formatrices étaient toutes liées à des créateurs, et non des créatrices.
Il y a dix ans, la SACD distribuait pour la première fois au Festival d’Avignon un petit livret : «Où sont les femmes ?» Un comptage détaillé de la sous-représentation des femmes dans l’ensemble des structures culturelles et disciplines artistiques. Ce fut un déclic dans mon appréciation de l’ampleur du phénomène et de son caractère systémique, ainsi que la réalisation du rôle indispensable des chiffres dans la lutte contre toutes les discriminations. Cette prise de conscience est libératrice mais elle n’est jamais finie.
Face à ce constat, que faire ? Est-ce que la parité demande un effort ? J’entends régulièrement des homologues (notamment masculins) affirmer que non, que la parité est une question de bienveillance et de temps. Je ne suis pas d’accord. Dans l’exercice de mes fonctions, programmer des femmes me demande un effort au quotidien. En effet, on le sait, ce sont les artistes hommes qui sont davantage programmés, financés, médiatisés, plébiscités. Ils sont pourtant moins nombreux dans les formations théâtrales initiales et ne sont certainement pas plus talentueux.
Fierté
Nous avons laissé s’installer un système qui invisibilise toute une partie de la société. Le transformer passe nécessairement par une question de volonté. Au Théâtre de la Croix-Rousse, si la programmation de la saison 2022-2023 comporte 60 % de projets portés par des femmes, ce n’est certainement pas sans efforts. Mais cette méthode de comptage est caduque. Il conviendrait mieux de raisonner en pourcentage de jauge offerte, c’est-à-dire le nombre de billets mis en vente pour les spectacles créés respectivement par les femmes et par les hommes. De fait, nombre de théâtres d’envergure présentent les hommes dans leur grande salle, là où les femmes sont souvent cantonnées aux petites salles, ce qui prolonge l’invisibilisation qu’on vient de pointer.
A la Croix-Rousse, ces chiffres ne sont pas paritaires puisque les spectacles des femmes correspondent aux deux tiers de la jauge totale. C’est une volonté assumée, et même une fierté. Car dans un secteur où les inégalités ont la vie dure, j’aspire à accompagner activement la visibilisation des femmes. Ne remettons pas à demain de corriger une inégalité sur laquelle nous pouvons agir dès maintenant.