Les samedi 9 et dimanche 10 avril, le musée du quai Branly-Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre ! Deux jours pour explorer le XXIe siècle sur le thème de l’invisible». Partenaire de l’événement, Libération publiera jeudi 7 un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur notre site.
C’était en 2015. Lors de mon deuxième séjour en Haïti pour travailler sur le phénomène des zombies (1). J’étais du côté de Saint-Marc dans le département de l’Artibonite. Un vivier, si l’on peut dire, de zombies. Ces derniers, il ne faut pas les chercher le long des grandes routes. Même sur les routes secondaires, on ne les voit pas. Il faut vraiment aller dans le réseau tertiaire, quaternaire, c’est-à-dire les pistes, parce qu’ils ne doivent pas être vus. Ce sont les «invisibles», frappés d’une mort sociale, au sens littéral du terme… Nous étions en voiture avec mon chauffeur, Jean-Richmon, et l’on circulait donc sur une minuscule petite route, quand au milieu d’une rizière, on voit un homme qui travaille très, très lentement, avec des gestes ralentis, répétitif, habillé en guenilles, un fichu sur la tête.
On ralentit. On est vraiment à huit-dix mètres de lui à peu près. On le voit vraiment très distinctement. Il y a deux ou trois personnes au loin qui surveillent les métayers et autres. Je prends alors mon appareil et je fais une série de photos. Peut-être une trentaine, une cinquantaine, je mitraille. Cet homme, bien entendu mais aussi la rizière, les champs enfumés un peu plus loin… Je sais prendre des photos. Je sais cadrer. J’ai l’habitude des clichés «au vol».
On repart et je dis à Jean-Richmon : «C’en est un ?» Il me dit : «Oui, oui, oui, c’est évident, c’est pour cela que j’ai ralenti, je voulais que tu le voies.» Je reprends alors mon appareil photo et je regarde tout de suite les images que je fais défiler sur l’écran…
La rizière, on la voit parfaitement bien. Les rideaux de fumée qui étaient derrière, également. Et le zombie ? Rien du tout. Je me mets à jurer : «Mais c’est pas possible, je n’ai pas pu le louper. Il était là au milieu, je le voyais !» (2) Et mon chauffeur de se retourner vers moi et de dire : «Mais c’est évident, c’est la preuve que c’est un zombie. Il n’est pas sur tes images. Tant qu’il est ‘‘sous sortilège’' (c’est l’expression consacrée), il ne peut pas apparaître sur les photos. C’est la preuve, la preuve absolue, que ce que tu as vu, c’est bien un zombie !»
Alors, il y a bien sûr une façon cartésienne de penser les choses : c’est que j’ai juste loupé les photos… C’est totalement possible. Mais mon chauffeur, lui, était fou de joie, il a même vérifié mes «sacrées photos». Pour lui, c’était la confirmation du caractère totalement surnaturel de cet individu ; la démonstration que ce qu’il l’avait vu, et ce que j’avais vu moi aussi, était bien un authentique zombie.