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Libération
Témoignage

Entretien téléphonique avec un esprit

Voyage en terres d'ethnologie avec le Quai Branlydossier
Souvenir du Bénin. Par Philippe Charlier, directeur du département de la recherche et de l’enseignement du musée du quai Branly-Jacques Chirac.
Un prêtre vaudou béninois. (Eric Lafforgue/Hans Lucas. AFP)
publié le 3 avril 2022 à 0h35
(mis à jour le 3 avril 2022 à 11h16)
Les samedi 9 et dimanche 10 avril, le musée du quai Branly-Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre! Deux jours pour explorer le XXIe siècle sur le thème de l’invisible». Partenaire de l’événement, Libération publiera ce jeudi un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur son site.

J’étais il y a quelques années au Bénin, avec mon ami Constant qui est un descendant du dernier roi Glélé, le roi d’Abomey, et initié vaudou de haut rang. On filait vers le sud et il avait laissé son Nokia posé sur le tableau de bord. Au bout de quelques kilomètres, le téléphone sonne. Il décroche et met le haut-parleur. J’entends alors une voix assez désagréable, nasillarde, qui parle, qui parle, qui n’arrête pas de parler en fait… Et Constant qui ne répond pas, qui hoche la tête et écoute cette voix sans intervenir. Cela dure de longues minutes. C’est vraiment très, très, long. Et puis au bout d’un certain temps, «ça» raccroche. Je lui fais alors remarquer qu’il n’a pas dit un mot et que cette conversation était étonnante. Il me répond alors : «Oui, c’était mon grand-père.

– Et de quoi t’a-t-il parlé ?

– Oh, il me donnait des conseils sur la vie…

– Il a une voix bizarre, ton grand-père…

– Ah oui, oui, c’est normal. Il est mort depuis quinze ans.»

Et de fait, son grand-père l’appelle comme ça régulièrement (j’ai immédiatement regardé le téléphone : numéro masqué). Pour maintenir un lien avec lui, pour le prévenir, parce que il était lui aussi un initié de haut rang. J’aime bien cette idée de l’utilisation des nouvelles technologies dans le vaudou béninois. C’est quelque chose de courant : j’ai constaté par exemple que lorsqu’une télé ne capte pas très bien, que l’antenne ne marche pas, on tire le fil et on la pose sur un autel Legba au centre de la cour. Quand un portable est à plat, on le pose sur l’autel... et il se recharge. Tout simplement. Et cela marche…

Bien sûr, ce n’est pas de l’ordre du scientifique. Est-ce vrai ? En fait, je n’en ai aucune idée. Je ne sais évidemment pas si c’est véritablement son grand-père qui l’appelle. Cela pourrait être quelqu’un d’une société secrète qui imiterait la voix de son grand-père avec cette intonation nasillarde qui est l’apanage des morts. C’est possible. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir si c’est vrai ou faux, mais pourquoi Constant y croit. Pourquoi d’autres que lui y croient. Avant le téléphone portable, on utilisait d’autres moyens : cela pouvait être un courrier, un message dessiné sur le sol, un chiffon ou autre chose. C’était des signes qui étaient envoyés et ensuite interprétés. Le téléphone portable permet de franchir une nouvelle dimension. Et peut-être qu’ensuite il y aura des messages vidéo. Quelque chose qui ressemblera à Ring. Ou un message WhatsApp qui s’autodétruira après lecture… Qui sait ?