Les samedi 9 et dimanche 10 avril, le musée du quai Branly-Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre ! Deux jours pour explorer le XXIe siècle sur le thème de l’invisible». Partenaire de l’événement, Libération publiera jeudi un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur notre site.
Son dernier album, Pelerinaj, mêle chœurs traditionnels haïtiens et nappes de synthé, calebasses et guitare électrique. Les chants et les danses incantatoires d’Erol Josué, prêtre et artiste – les deux sont chez lui inextricables – relèvent d’un dialogue avec l’insaisissable, l’invisible, l’évanescent. «Quand je suis sur scène, le public ne voit pas ce que j’interpelle, mais il le sent peut-être. Je ne suis pas seulement là pour mon plaisir et celui des spectateurs, je suis en discussion avec mon loa, mon ange», explique avec douceur le houngan («prêtre»), joint par téléphone depuis Port-au-Prince. Cela fait près de trente ans que cet artiste total et singulier, qui a étudié l’anthropologie à New York et dirige le Bureau national d’ethnologie haïtien, ouvre des fenêtres multiples sur la religion et la culture vaudoue, encore méconnues et souvent réduites à des rites maléfiques.
«Difficile de parler avec les esprits»
«Sa voix extraordinaire est autant au service des dieux qu’au service des humains», résume Philippe Charlier, directeur du département de la recherche et de l’enseignement du musée du quai-Branly - Jacques-Chirac. Le médecin légiste et anthropologue, fin connaisseur du culte vaudou, a invité Erol Josué pour une conférence chorégraphiée le 10 avril prochain, au théâtre Claude-Lévi-Strauss du musée. «Sa gestuelle, ses chants, ses vêtements vont transformer un lieu totalement profane en espace sacré», avance Philippe Charlier. Ce jour-là, le houngan le sait, il aura en tête, pour nourrir l’énergie du moment, ce qu’il a vu pour la première fois à 17 ans et qui reste inaccessible au commun des mortels.
C’est au début des années 90, tout jeune, qu’Erol Josué est choisi par les esprits loas et ses parents pour recevoir l’insigne de la prêtrise, le asson, ce hochet taillé dans une calebasse. Le rendez-vous initiatique est donné dans le Grand Bois sacré. «En prenant la route seul, la nuit, dans cette forêt aux arbres centenaires, millénaires, une frayeur d’enfant, nourrie de l’imaginaire d’une redoutable jungle, est montée en moi. Il est difficile de parler avec les esprits, de recevoir la connaissance des feuilles, de la vie, et de l’ordre sacré du monde.» La rencontre avec l’esprit Papa loko, symbole du vent, fracasse le corps, le frappe, le balance, pour «réveiller le cœur et l’âme». De cette première expérience avec les forces de l’invisible, Erol Josué sort «chamboulé», «marqué». «J’ai grandi avec, et je vis encore avec aujourd’hui. Elle m’a donné une autre forme de danse, de chant, d’amour.»
«Rencontre avec l’invisible»
Depuis ce rite initiatique, l’artiste prête son corps aux esprits, il est leur médium. Ses prestations scéniques sont devenues sacrées, sa voix a acquis un caractère dévotionnel. Mais «accepter l’invisible, accepter de formaliser ce don, appelle une grande responsabilité». Le houngan a le devoir de perpétuer le savoir de la médecine traditionnelle et la connaissance des ancêtres, mais aussi d’aider les autres, de les initier et de les soigner. «Lorsqu’on est appelé, on ne s’appartient plus». Cette exigence, Erol Josué la vit moins comme un sacrifice que comme un mode de vie dans lequel il dit se sentir bien. «Je vis dans l’invisible et avec l’invisible. Ma première rencontre avec l’invisible dans Le Grand Bois fait partie intégrale de ma vie, elle est présente à chacune de mes expériences.»