Je grimpe pour lire la fierté dans les yeux de mon père. Je grimpe parce que c’est un jeu d’enfant. Mes parents jouaient aussi. Je grimpe pour ressembler aux héros de mon enfance, par identification à ceux de mon adolescence. Je grimpe parce que le premier Français au sommet de l’Everest s’est exclamé du haut de la grande pyramide: «Quel pied! Putain quel pied!» Je grimpe pour cette fille blonde aux yeux de pervenche, le front ceint d’un bandana rouge et blanc. Je grimpe pour sentir mon corps s’extraire de la pesanteur, pour monter mes os jusqu’au soleil. Je grimpe pour l’esprit de cordée, quand des êtres s’encordent et s’accordent. Je grimpe pour prendre les contre-allées, trouver des contre-courants. Je grimpe pour l’itinérance néo-soixante-huitarde de falaise en falaise. Je grimpe pour l’odeur de lavande du plateau de Valençol lors des virées automnales vers les gorges du Verdon. Je grimpe pour cette photo de l’homme au pull Jacquard debout sur le pic de Roc. Je grimpe pour les larmes furtives de mes compagnons au sommet de l’aiguille Verte ou du mont Blanc. Je grimpe pour le tchang aigre du berger tibétain, la fine crêpe grinçante de sable du Bédouin jordanien, le burger définitivement trop épais du grimpeur canadien. Je grimpe pour écrire, pour que s’allument quelques mots sur le papier. Je grimpe pour tutoyer le ciel himalayen, pour toucher les vents des jet-streams. Je grimpe parce que je suis sans arme. Je grimpe pour sentir mon émoi et dominer mon effroi. Je grimpe
Pourquoi grimpez-vous?
François Damilano: «Pour les larmes furtives de mes compagnons»
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Une saison à la montagnedossier
François Damilano, guide, éditeur, cinéaste et écrivain, chez lui à Chamonix le 20-01-21. (Pablo Chignard /Divergence)
par François Damilano, alpiniste, réalisateur et éditeur
publié le 14 juin 2022 à 11h13
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