De quoi est fait cet espoir qui transcende la peur, et qui pousse tant de jeunes d’Afrique de l’Ouest à tout quitter, malgré les dangers, pour tenter de traverser la Méditerranée ? Sans occulter la détresse matérielle et humaine, le documentaire d’Ike Nnaebue, Lagos Tanger, aller simple (No U-turn, dans sa version originale), met l’accent sur un ressort existentiel, «une quête de soi». «Ces hommes et ces femmes décident d’aller au bout de ce en quoi ils croient. Ils veulent être en capacité de rêver, et tout simplement d’avoir une bonne vie.»
Salué lors de la dernière Berlinale d’une «mention spéciale», le long métrage entremêle les récits de la vie d’aujourd’hui à l’histoire personnelle du réalisateur. Il y a vingt-six ans de cela, le jeune Ike, aujourd’hui figure de Nollywood (le cinéma du Nigeria), s’aventure avec deux amis depuis Lagos jusqu’au Maroc, en passant par le Bénin, le Togo et la Mauritanie, dans l’espoir de franchir le détroit de Gibraltar. «C’est l’appel de l’inconnu qui nous guide. Et une confiance aveugle dans la vie», se souvient le réalisateur en voix off. Les échos glaçants de traversées meurtrières le feront finalement renoncer à quitter le continent, pour retourner au Nigeria et étudier le cinéma avec le succès qu’on lui connaît.
Mais pour une vie sauvée, combien de destins brisés ? Lagos Tanger, aller simple suit Ike Nnaebue sur les traces de son voyage passé, au contact de ceux qui se lancent aujourd’hui à l’assaut de ces routes migratoires. Le film ne retient souvent qu’une expression, ou quelques phrases, de la multitude des visages croisés. «Je n’ai que 250 000 nairas en poche [560 euros], alors, je croise les doigts. On ne sait pas ce qui nous attend, mais on garde espoir», dit en souriant un jeune homme avant d’embarquer dans un bus. Une femme lestée de quatre enfants en bas âge raconte l’abandon par son compagnon qui lui avait pourtant promis un ailleurs meilleur. Un garçon de 22 ans confie n’être «plus si jeune».
Parfois, la caméra s’attarde davantage. Comme sur les inséparables Sandra et Laura, qui veulent plus que tout atteindre l’Espagne. L’une a laissé, en 2019, sa fille de 11 ans au Nigeria, l’autre n’a pas revu sa mère depuis trois ans. Au Maroc, elles font la manche pour survivre en attendant une possible traversée à bord d’un bateau gonflable. Au réalisateur qui s’inquiète que celui-ci ne flotte plus, une fois en haute mer, elles opposent un rire frondeur douloureux, et des arguments aussi frêles que leur esquif : elles seront équipées de pagaies et s’assureront, grâce à leur smartphone, de conditions météo favorables avant de prendre la mer. «On prie pour que le jour où on partira, ce soit notre jour de chance !» Leurs silhouettes tendrement appuyées l’une à l’autre, face à la Méditerranée toute proche, interrogent : «Les rêves sont-ils toujours de l’autre côté de la frontière ?». La scène où des jeunes s’ébattent dans le cadre hédoniste de la société The Love Portion, lancée par Ike Nnaebue à Lagos pour les créatifs locaux, esquisse plutôt l’espoir ténu d’un avenir possible sur le continent africain.