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Libération
Le Parlement des Liens : interview

«Il faut porter de l’espérance face à la désespérance de nos jeunes»

Festival Au Bonheur des Mômesdossier
Cofondatrice du Parlement des Liens avec Henri Trubert, la psychologue et psychanalyste Sophie Marinopoulos est l’autrice d’un plaidoyer contre la «malnutrition culturelle» de la jeunesse. Un texte intitulé «Quels enfants laisserons-nous à la planète ?»
Lors du festival Au bonheur des mômes, en août. (MICHEL BRIES>MANDRAGORE/Le Grand-Bornand Tourisme DR)
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 7 septembre 2022 à 15h22

Si notre planète est une somme d’interactions formant des écosystèmes fragiles, l’enfance serait à son image. Et elle est en danger, menacée par un appauvrissement humain et culturel, la dégradation du lien à l’autre et au sensible. C’est l’appel qu’ont lancé le 24 août des personnalités venant à la fois du monde des arts, de la santé mentale, de l’entreprise et de l’écologie. La psychologue clinicienne et psychanalyste Sophie Marinopoulos est l’une des porteuses de ce plaidoyer intitulé «Quels enfants laisserons-nous à la planète ?» (aubonheurdesmomes.com), qui entend combattre la malnutrition culturelle devenue chronique de la jeunesse, afin d’esquisser un monde futur non «pas à posséder mais à habiter».

Spécialiste des questions de l’enfance et de la famille, engagée sur les enjeux de santé psychique, Sophie Marinopoulos a exercé au CHU de Nantes et dans un centre médico-psycho-pédagogique pour les enfants et adolescents avant de créer il y a vingt ans une structure d’accueil et d’écoute pour les familles, les Pâtes au beurre, qui propose des lieux solidaires, anonymes, sans rendez-vous et gratuits. Elle est également l’auteure d’un rapport remis au ministère de la Culture en 2019, traçant une stratégie nationale pour la santé culturelle. Libération l’a rencontrée à l’occasion du festival Au bonheur des mômes, en Haute-Savoie, d’où cet appel a été lancé.

Pourquoi lancez-vous cette alerte ?

Nous nous sommes engagés dans ce plaidoyer pour dire que nous sommes en difficulté dans nos relations humaines, dans nos liens, avec les autres et avec notre environnement. Cela montre les similitudes qu’il y a entre les maux de l’écologie et les maux de l’enfance. Dans les deux cas, il y a cette difficulté à s’inscrire dans des liens de reconnaissance vis-à-vis du monde du vivant. Cela nous conduit vers des catastrophes, pas simplement climatiques mais aussi dans les relations que nous construisons ensemble. Ces catastrophes nous conduisent à nous déshumaniser, c’est-à-dire à ne plus prendre soin les uns des autres, à devenir insensibles au lien à l’autre.

Notre société va très vite, est dans la disruption, alors on escamote le temps qu’on passe ensemble, nos vies sont cadencées et ne sont plus dans les rythmes dont on a besoin. Les premiers touchés sont les enfants, qui ont besoin de temps pour se construire, pour comprendre le monde, pour l’interpréter, lui donner du sens. Quand on devient parents, on est aussi frappés de plein fouet, car il faut s’adapter à ce nouveau personnage qui nous bouscule, nous met dans le doute, nous construit autrement. Il faut du temps ensemble – et c’est pour ça que les congés maternité et paternité servent à quelque chose. Le sens de ce plaidoyer est vraiment de porter l’espérance face à la désespérance de nos jeunes, de leur dire qu’ils comptent énormément pour l’avenir. On peut agir ensemble, mais il faut avoir le courage de regarder nos maux en face, d’en prendre la mesure. On doit pratiquer une culture du ralentissement, on en appelle à une véritable responsabilité individuelle, collective et politique.

Comment contrebalancer la «malnutrition culturelle» que vous dénoncez ?

En 2019, quand Françoise Nyssen est devenue ministre de la Culture, je l’ai sollicitée pour faire un rapport afin d’alerter sur la très grande difficulté dans les relations entre parents et enfants que je constate tous les jours en consultation. Ce rapport est aussi porteur d’espoir car une fois encore, j’ai la certitude que nous sommes capables de nous raisonner et de dire stop, on va dans le mur. Ce rapport invite le ministère de la Culture à démocratiser encore plus l’accès à la culture, au sensible et au beau dès le plus jeune âge, en mettant en place des politiques publiques d’éveil artistique et d’accueil culturel permettant de pallier les énormes inégalités territoriales.

Comment aider, armer les parents pour résister face aux difficultés ?

Dans notre modernité, il y a eu un basculement, l’ennui chez l’enfant est devenu un gros mot. Cela pose la question de ce qu’est devenu un bon parent au XXIe siècle : est-ce que c’est nécessairement celui qui donne de son temps, qui fait faire des activités ? Aujourd’hui, on parle de «compétences parentales». Je me bats dans mon milieu pour qu’on arrête avec ce terme qui vient du monde de l’entreprise. La parentalité, ça s’éprouve ou ça s’apprend ? Ça s’éprouve ! C’est pour cela que j’ai monté les Pâtes au beurre : c’est un lieu de «refusants». Nous, les psychologues des Pâtes au beurre, nous refusons qu’on nous dise comment et combien de temps on doit parler aux parents, comme c’est le cas dans des institutions plus normées. Pas tout le monde n’a besoin de la même chose. Reconnaître et porter la différence, être là les uns pour les autres, c’est cette société qu’on doit défendre.