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La finance solidaire fait banque à part

Finance solidaire et logementdossier
Si elle pèse bien moins lourd que sa grande sœur spéculative, l’épargne solidaire, grâce à laquelle des particuliers investissent dans des projets sociaux, a battu des records en 2021. Reste à savoir si elle aura les épaules assez solides pour la crise qui s’annonce.
Des salariés investissent leurs économies et leur épargne dans des associations. (Sarah Bouillaud/Hans Lucas)
publié le 18 novembre 2022 à 5h39

Face au mal logement, la finance solidaire peut-elle changer la donne ? A l’occasion de notre partenariat avec Soliko, entreprise de l’économie sociale et solidaire, et en attendant le supplément qui paraîtra le 24 janvier, nous republions quelques articles sur cette thématique.

Il est des inflations dont on peut, malgré les temps qui courent, se réjouir. Ainsi en est-il de cet outil aussi confidentiel que diablement vertueux, qui irrigue patiemment des pans toujours plus nombreux du paysage économique français : la finance solidaire.

«La finance solidaire consiste à sortir du triptyque traditionnel de la finance spéculative, rendement-risque- liquidité, pour privilégier la recherche d’un impact social et environnemental positif, rappelle Frédéric Tiberghien, président de la fédération des acteurs de la finance solidaire (FAIR). En somme, on ajoute au logiciel initial une nouvelle métrique, la solidarité.»

Pour l’épargnant, il s’agit concrètement de confier ses billes à des structures (TPE-PME, coopératives, associations, etc.) dont l’activité économique se double d’une utilité sociale. Trois grands canaux de souscription s’offrent à lui : l’épargne salariale (en choisissant un fonds solidaire) ; les organismes de placements collectifs, accessibles auprès d’une banque ou d’une assurance ; et la souscription directe, qui consiste à entrer au capital d’une structure en lui achetant des titres non cotés.

Faible notoriété chronique

Tirer son bilan en 2022 est un exercice contradictoire tant la perspective diffère selon le point de vue. Le verre à moitié vide ? La finance solidaire n’est encore qu’une minus : selon le zoom annuel publié récemment par FAIR, elle ne représentait, au 31 décembre 2021, que 0,41 % de l’épargne totale des ménages français… Parmi les causes invoquées figure d’abord sa faible notoriété chronique auprès du grand public. Mais aussi un très prosaïque principe de réalité : choisir volontairement un rendement moindre au profit de l’intérêt général est encore considéré par l’épargnant lambda comme un luxe qu’il ne peut (ou ne veut) pas se permettre.

Les partisans du verre à moitié plein retiennent, eux, un essor ébouriffant, solide et de longue date. Depuis une quinzaine d’années en effet, la finance solidaire croît annuellement d’environ 20 %. L’an dernier encore, le bond a été spectaculaire : + 26 %. L’encours total a atteint 24,5 milliards d’euros. En 2005, il n’était encore que de 845 millions d’euros (trente fois moins !) A ce rythme, le très symbolique palier des 1 % du total de l’épargne des Français (environ 6 000 milliards d’euros en 2021) pourrait être franchi dans cinq petites années.

«Aujourd’hui, la finance solidaire a clairement fait ses preuves, estime Amélie Artis, maîtresse de conférences en sciences économiques à l’Université Grenoble Alpes et à Sciences-Po Grenoble. Le secteur a dépassé la phase d’innovation et d’expérimentation, et ses grands acteurs se sont stabilisés.» De quoi convaincre plus de 2 millions d’épargnants solidaires (sur 30 millions de ménages).

10 % du PIB français

Les raisons de cette hypercroissance sont multiples. Il y a d’abord, côté demande (les épargnants), une défiance durable vis-à-vis des marchés, doublée d’une prise de conscience grandissante de l’impératif des transitions sociales et environnementales. «La crise financière de 2008 a acté la lassitude de certains épargnants face à la finance spéculative, les reroutant vers des placements éthiquement plus sensés», souligne Frédéric Tiberghien. Quant à la crise Covid, «elle a réactivé la prise en compte de valeurs telles que la proximité, l’engagement personnel et la solidarité, sur fond de taux d’épargne record, à plus de 20 % en 2020».

Il y a ensuite, côté offre, un secteur de l’économie sociale et solidaire lui-même en vigoureuse croissance – il compte désormais pour plus de 10 % du PIB français –, et dont la gourmandise en capitaux multiplie de fait les opportunités de placements solidaires. Avec désormais plus de 225 000 structures actives sur ce segment en France, les projets à financer ne manquent pas. De même, les placements labellisés, garantie importante pour l’épargnant néophyte, se multiplient eux aussi. Le label Finansol, référence historique en France, certifie 178 produits d’épargne solidaire en 2022, contre 128 dix ans plus tôt.

Autre explication, à mettre cette fois au crédit du Parlement : des lois qui ont augmenté la visibilité de la finance solidaire aux yeux des épargnants. Depuis 2010, les entreprises ont par exemple l’obligation de proposer au moins un fonds commun de placement d’entreprise solidaire dans leur plan d’épargne entreprise. La mesure a tout changé, contribuant à ce qu’en 2021 l’épargne salariale solidaire compte pour 14,1 milliards d’euros, soit 57,5 % des encours totaux.

Plus récemment, la loi Pacte, relative à la croissance et la transformation des entreprises, oblige les assureurs à proposer automatiquement à leurs clients chacune des trois unités de compte suivantes : socialement responsable, verte et solidaire. Entrée en vigueur en janvier 2022, cette dernière disposition n’est pas anodine : l’assurance vie pèse plus de 1 700 milliards d’euros en France.

«Ni court-termiste ni contracyclique»

Une question enquiquine toutefois les acteurs de la finance solidaire depuis quelques mois : son essor résistera-t-il à la crise qui se profile ? L’inflation galopante et la pénurie d’énergie mettent de fait le secteur sous tension. «Il est un peu tôt pour dire quel sera l’impact de ces chocs externes», souligne Amélie Artis, qui reste cependant optimiste : «Lors de la crise de 2008, la finance solidaire n’a rien perdu.»

Ses acquis sont a priori solides, explique la chercheuse : «C’est une finance qui n’est ni court-termiste ni contracyclique. Il y aura donc un maintien de l’épargne.» En d’autres termes : de par leur choix et leur profil, ceux qui investissent dans la finance solidaire ne s’en carapatent pas au premier coup de grisou.

C’est plutôt du côté du recrutement de nouveaux épargnants, donc, que le bât pourrait blesser. «La forte inflation génère de l’incertitude, concède Frédéric Tiberghien. L’épargnant ne veut pas perdre ses sous : si le livret A devait passer à 3 % en 2023, on ne sait pas s’il acceptera du 2 % chez nous.» Serait-ce la fin de la période faste ? Pas si sûr, répond-il : «L’aspiration générale aux transitions est une tendance de fond. Or la finance solidaire fait clairement partie des solutions.»