Il le dit d’emblée, il ne faut pas confondre gastronomie et cuisine. Patrick Rambourg (1) date la popularisation du mot «gastronomie» aux alentours du XIXe siècle. A cette époque, il s’accompagne d’un discours sur le boire et le manger. «On ne peut pas dire que la gastronomie naît à une date précise, même si le mot a été remis au goût du jour à l’époque. petit à petit, il est entré dans les dictionnaires. Il est interprété de façon différente selon les pays et les langues. Aujourd’hui, il s’agit d’une définition plus large qui englobe les arts de la table.»
D’après l’historien, les premiers traités culinaires en langue française apparaissent au Moyen Age : on y mangeait avec les doigts. «La notion de plaisir de la table est là», détaille-t-il. En France, quand on dit «la gastronomie», on pense à la haute cuisine. Mais cela peut inclure un repas de famille ou de fête. Pour le gastronome et auteur Jean-Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), tout ce qui a trait au menu, à «cette notion de «faire plaisir en servant la cuisine», c’est de la gastronomie». Dès 1803, Grimod de la Reynière (1758-1837) publie l’Almanach des gourmands, «que l’on peut voir comme une promenade gourmande dans le Paris de l’époque. On y trouve notamment des adresses de commerces de bouche»…Tout cela contribue à mettre en avant la gastronomie.
«Consommé d’éléphant»
Paris est au centre de ce mouvement : la capitale de la bonne cuisine. La France est le pays de la gastronomie. Depuis les années 1730-1740, on débat, selon l’historien, «d’une nouvelle cuisine, plus légère, qui s’adresse à une clientèle élitiste. Et les restaurants apparaissent dans la capitale au milieu des années 1 760».
Paris est une ville où se multiplient les commerces de bouche. Les appartements étant exigus, les parisiens sont habitués à acheter leur nourriture à l’extérieur. Et les restaurants connaissent un énorme succès. «A l’origine, le mot «restaurant» signifiait un bouillon de santé, c’est pourquoi, parmi les premiers restaurants, certains ont pu se nommer «Maison de santé». Dans les établissements luxueux, les petites tables sont dressées avec des assiettes pourvues d’un liséré d’or. On indique la provenance des mets. Une salle spécifique est réservée aux dames… On compte déjà des fameux noms comme Beauviliers, les Trois Frères provençaux ou les Frères Véry. On trouve alors deux catégories de restaurants. Ceux qui sont à la carte, avec un tarif par mets. Les autres à prix fixes, avec un menu tout compris, qui s’adresse à toutes les couches de la population.
Très vite, ces restaurants vont faire des émules dans l’ensemble du pays, puis dans le monde entier. Cette création française s’accompagne des plaisirs de la mode. On présente Paris comme la ville de la restauration. «En 1870, lors du siège de Paris, le menu du réveillon de Noël d’un grand restaurant comprenait entre autres plats un consommé d’éléphant. Seulement pour quelques privilégiés, alors que la majorité des Parisiens avait faim», détaille l’historien.
«Haut de gamme»
Au XIXe siècle, de grands chefs, comme Antonin Carême, travaillent encore dans de grandes maisons (aristocratique ou bourgeoise) ou dans des cours royales. Et dans nombre de restaurants se tiennent des dîners littéraires. «Cet environnement gastronomique fait partie de la vie parisienne et de la vie française. La France a construit sa réputation sur le haut de gamme.»
Aujourd’hui, la «bistronomie» et le «fooding» ont rajeuni le contexte. Les émissions télé se multiplient. De grands chefs (Bocuse, Gagnaire, Robuchon) se sont libéré de la «haute cuisine» et jouent sur deux registres en ouvrant «une annexe». Désormais, le repas du midi dans un trois-étoiles est plus accessible que celui du soir. Il n’y a plus «une» cuisine française mais «des» cuisines françaises qui séduisent une clientèle jeune, urbaine, «avec l’idée que la qualité peut se faire à un prix raisonnable».
(1) Auteur d’Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises, Perrin, «Tempus».