La grande pandémie que traverse l’humanité crée une immense vague de transformations individuelles, économiques, culturelles et politiques. Chacun devant ce tsunami d’incertitudes et de risques s’interroge sur lui-même, le sens de sa vie, de ses choix, de ses amours… Chacun s’interroge sur sa vie d’après : après que cinq milliards d’humains se sont enfermés chez eux pour protéger les plus vieux, les plus gros, les plus fragiles. Acte inouï d’humanisme en faveur des plus improductifs dans un monde que l’on disait purement matérialiste, assoiffé de profits et de plaisirs faciles. D’après les premières projections, nous avons sauvé, déjà, de 150 à 200 millions de vies grâce à nos changements de comportements et aux vaccins. Et nous en avons perdu de 10 à 20 millions. Nous sommes en train d’écrire la plus belle page de l’histoire humaine, une guerre commune et planétaire pour la vie avec des actions dans chaque nation, des recherches dans chaque laboratoire, des contraintes dans chaque vie.
Se construit là un commun de luttes partagées qui va générer une génération mondiale d’anciens combattants qui seront les fantassins de la bataille contre le réchauffement climatique. Car chacun voit bien aujourd’hui que l’homme a dérangé la nature et que ce virus est au fond le lanceur d’alerte dont nous avions besoin pour engager la lutte pour une humanité se repensant nature dans la nature et coupable des blessures infligées au monde vivant.
Amour du sol et du jardin
Alors chacun médite, discute, change ? Couple qui explose (un million), déménage (trois à cinq millions) change d’emploi (trois millions), innove, crée. Et, au-delà des mobilités visibles, la hiérarchie des valeurs est bousculée. Les 70 % de Français qui vivent dans une maison avec jardin se trouvent confortés dans leur choix. Les apôtres de l’habitat urbain dense, de la fin de vie en institution, du travail forcément présentiel alors même que ce travail se fait sur la Toile, du voyage lointain… sont réduits au silence.
Partout se cherche une vie locale, autour du logis, de la proximité, de la famille. Le proche est devenu la valeur forte, le proche /les proches. Mais un proche inscrit sur la Toile, dans la nature, les livraisons. Local et livraison bousculent le modèle précédent de mobilité des supermarchés, des hubs de travail et de l’habitat en hauteur. On retrouve l’amour du sol et du jardin, la force de la famille proche, le rôle de l’école comme maison des enfants et des valeurs. On redécouvre que les 16 millions de familles qui habitent dans des maisons individuelles – pour 12 millions d’appartements – voisinent avec les fermes et les bois de l’immense France arable (52 % du sol) et forestière (30 %).
Alors le rêve urbain de nourriture bio est battu en brèche par ce rêve-là, celui des «voisinants» qui veulent des produits locaux, d’ici ! Le bio va devoir devenir local ou régresser. Car manger local réenracine symboliquement le corps dans la terre de là où l’on vit, produit par des gens que l’on connaît. Plutôt que d’aller du champ à l’assiette, l’agriculture doit aujourd’hui entendre ces désirs qui montent des assiettes. Bio pourquoi pas, mais local certainement. La révolution écologique ne part pas d’abord des urnes, mais de nos choix intimes.