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Agir pour le Vivant : enquête

Lampadaires connectés : que la lumière soit

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Pour économiser l’énergie mais aussi servir de station météo, faire respecter la distanciation sociale, ou gérer le trafic routier… nombre de villes travaillent sur le mobilier urbain.
(Eric Préau/Sygma via Getty Images)
publié le 29 mai 2021 à 17h41
(mis à jour le 1er juin 2021 à 11h48)

Arrêter d’éclairer bêtement des rues désertes, toute la nuit, au détriment du sommeil des riverains, du rythme biologique des animaux et du travail des astronomes… La problématique de la pollution lumineuse commence à être bien comprise et les initiatives se multiplient à travers le monde pour illuminer moins et mieux les villes.

Bruxelles a ainsi annoncé fin mars un plan de déploiement de lampadaires intelligents, qui pourront être réglés au minimum dans les zones résidentielles et ne forcer la lumière qu’au moment où passent des piétons ou des cyclistes. A Limoges, on teste aussi l’idée d’un «train de lumière» qui accompagne les passants à pied ou à moteur, quelle que soit leur vitesse, en adaptant la luminosité le long de leur trajet. Il suffit d’équiper les lampadaires d’un bon capteur de mouvement.

Ça se prête d’ailleurs très bien à l’installation de capteurs, un lampadaire. C’est grand et long, il y a plein de place dedans ; et surtout il y a en a littéralement à tous les coins de rue. Ils maillent une ville le long de tous ses axes habités et pourraient, s’ils fonctionnaient en réseau, devenir un vrai support de surveillance et de gestion urbaine. Les futurs poteaux bruxellois communiqueront ainsi en 4G ou par ondes radio pour être contrôlés à distance : on pourrait ainsi choisir de baisser l’éclairage d’un quartier industriel à ses heures de fermeture ou au contraire le pousser en centre-ville pour un événement nocturne… Dans la ville américaine de Tucson (Arizona) par exemple, le système d’éclairage public est entièrement paramétrable. Dans leur réglage classique, les lampadaires éclairent à 90 % de leur capacité maximale en début de soirée, puis baissent la lumière à 60 % à partir de minuit.

Mais pourquoi se limiter à l’éclairage ? Los Angeles a attaché depuis 2017 des capteurs sonores sur ses lampadaires, tous les dix pâtés de maisons environ, pour détecter les coups de feu et les localiser. Pour les phases suivantes de son expérimentation, la ville de Los Angeles étudie l’équipement des lampadaires en capteurs de secousses sismiques ou de pollution de l’air. A Munich, soixante lampadaires de nouvelle génération surveillent non seulement la qualité de l’air mais hébergent aussi de vraies petites stations météo – vent, pluie, température –, et supervisent en plus le niveau de trafic routier en temps réel, et la disponibilité des places de parking.

Les capteurs «aveugles» sont une chose, mais les possibilités sont démultipliées quand on commence à équiper les réverbères de caméras. On compte les voitures, on évalue les flux, on surveille les foules. La Smart Cities Marketplace, une initiative soutenue par la Commission Européenne, a rendu en avril un rapport concocté par six entreprises spécialisées en éclairage et en «villes intelligentes», qui imagine le rôle des lampadaires dans le monde post-Covid. L’étude se penche notamment sur le cas de Barcelone.

En rouvrant ses plages au public lors du déconfinement de juin 2020, la ville catalane s’est aidée de ses lampadaires pour faire respecter les mesures barrières : douze caméras ont été installées sur les mâts pour compter les occupants de la plage et évaluer la distance qui les séparait. «Avec un peu d’intelligence artificielle pour analyser les images, on voyait quelles portions de la plage étaient libres. On analysait la proportion de sable apparent plutôt que d’identifier le visage des gens», détaille Marc Perez-Batlle, responsable de l’innovation à la ville de Barcelone. A Munich, des discussions ont été menées pour voir si les soixante super-lampadaires à caméras pourraient détecter les groupes rapprochés de personnes dans la rue, et leur diffuser par haut-parleur un message incitant à la distanciation physique…

«Un capteur de température sur un lampadaire est facile à installer. Si votre température est supérieure à 38°, on peut le signaler et conseiller à la personne malade de rentrer chez elle», lance ainsi James Quigley, un responsable de l’éclairage public à Los Angeles, dans le rapport sur les lampadaires post-Covid. Restent les garanties d’anonymat à apporter. L’acceptation par le public risque d’être un obstacle majeur, d’autant plus si la surveillance se resserre à l’échelle individuelle.

Dans le quartier de Westminster à Londres, on planche sur une solution moins répressive et plus encourageante : «il s’agit de diriger la lumière vers le sol de façon à attirer les gens à un endroit, ou au contraire à les faire éviter une zone. Cela peut nous aider à contrôler les flux à la sortie d’une station en abrégeant l’hésitation des gens qui cherchent leur chemin», explique Dean Wendelborn, responsable de l’éclairage à Westminster.

Une approche basée sur «la carotte plutôt que le bâton» est une bonne idée, note le rapport. Afin d’aborder les lampadaires du futur de manière éclairée.

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En attendant les événements organisés par Agir pour le Vivant, qui se tiendront à Paris en juin autour du thème de la ville, et le rendez-vous à Arles fin août sur le thème des territoires, la rédaction de Libération, en partenariat avec les éditions Actes sud et Comuna, propose à ses lecteurs tribunes, interviews et éclairages, ainsi qu’une sélection d’articles sur le thème de la biodiversité. A retrouver ici.