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Tribune

Le monde de la culture doit inclure pour être désirable

Forum de l'inclusion économiquedossier
Comment des métiers de création, d’invention, de risque, de partage, de mission se retrouvent-ils ainsi désemparés et malheureux ? Peut-être parce qu’ils se sont appauvris de leur manque d’inclusivité.
Aux Hill Street Studios. (Hill Street Studios/Getty Images)
par Paul Rondin, directeur délégué du Festival d'Avignon
publié le 27 juin 2022 à 22h20
Le 12 juillet, en partenariat avec le Festival d’Avignon et Avignon Université, l’Afdas organisera le premier Forum de l’inclusion économique dans la culture et les industries créatives. Libération, partenaire de l’événement, publiera sur son site tribunes, reportages et enquêtes sur le sujet.

Il y a dans notre pays ce besoin irrépressible de désolation qui nous pousse à la méfiance avant la curiosité, à la suspicion que l’autre viendrait bousculer un bon ordonnancement pourtant factice. On reste ainsi dans le confort d’un entre-nous de certitudes, un peu moisi. Sans bonne raison aucune, on envoie à l’Assemblée nationale des députés contre tout, surtout contre eux-mêmes. A force de contempler l’abîme, on tombe dedans et une fois au fond, on se demande comment tout cela a pu nous arriver.

Le monde de la culture n’échappe absolument pas à cette mécanique dévastatrice. Il se réveille un jour avec un public homogène, vieillissant, moindre et bien éloigné de la vitalité du réel, de la diversité qui fait sens. Mais comment des métiers de création, d’invention, de risque, de partage, de mission se retrouvent-ils ainsi désemparés et malheureux, car sincères dans leur aveuglement ? L’une des hypothèses la plus probable : parce qu’ils se sont appauvris de leur manque d’inclusivité.

Nous produisons naturellement ce qui nous ressemble, nous montrons ce que nous connaissons, forts d’une légitimité éducative. Nous savons par nos études, la reconnaissance de notre place professionnelle, ce qui est bon pour l’autre. Cette logique descendante, ne nous en cachons pas, est aussi une manière de garder le pouvoir, elle ne nous incite pas à voir l’autre, les autres, sa culture, ses cultures comme autant de différences qui devraient venir questionner chacune de nos décisions, répondre à notre besoin de déplacement. Le monde de la culture n’est pas là pour éduquer mais pour partager émotion, connaissance, plaisir, curiosité, nous libérer du seul matérialisme.

On ne parle pas ici de sociologie, mais d’organisation du travail, de recrutement. On ne parle pas de politique des bons sentiments, mais de succès à venir. Pas de «faire le bien», mais d’être désirable. Pour ne pas nous ressembler, il faut connaître et reconnaître ceux que nous ne voyons pas, qui vivent, étudient, se cultivent et travaillent loin de nous. Si nous n’accueillons pas des moins diplômé – que nous formerons, ça n’est pas un problème –, des habitants des périphéries – elles sont nombreuses urbaines, rurales –, alors la structure de nos établissements culturels ne changera jamais, notre regard pas plus, les publics encore moins. Ce qui vaut pour l’administration de la culture, vaut pour les artistes comme pour les techniciens. Nous mourrons de nous coopter, de chercher nos doubles. Il faut retrouver une hospitalité, un intérêt désintéressé pour ceux que nous ne connaissons pas. Ceux-là mêmes à qui l’on doit la reconnaissance de la culture et par la culture. Sans cette ouverture comment imaginer faire société ?

La question de l’inclusion est systémique, comme celle de l’écologie, il s’agit d’un environnement commun dans lequel nous évoluons ici et maintenant. Il ne s’agit pas de sujets en plus, ou à traiter après. C’est maintenant, tout le temps, nous tous. Cette transformation n’est en aucun car une punition ou une restriction, un effort ou une contrainte. C’est au contraire un élan, car nous allons pouvoir inventer et découvrir. Réconcilier l’humain et sa terre, le citoyen et le salarié, la périphérie et le centre. Plutôt que de contempler nos échecs, devenir actrices et acteurs du mieux.

Pour y parvenir, il nous faudra changer nos schémas habituels, rompre avec des recettes qui ne fonctionnent plus. Cela commence par ralentir cette course à l’accumulation, se donner de l’espace et du temps, offrir une attention plus longue à ceux qui font. C’est l’écosystème de l’entreprise dans l’écosystème global qui va changer. Nous devrons organiser notre secteur selon une économie sociale, environnementale et culturelle, qui troque la preuve par le chiffre pour la seule mesure de l’impact positif sur le vivant.

Nous ne pourrons mener à bien cette profonde réforme sans inclure toutes celles et ceux qui ont à nous apporter des manières de faire et de penser autres.