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Rituels

Les objets intercesseurs

Voyage en terres d'ethnologie avec le Quai Branlydossier
Ils sont censés nous protéger, nous révéler une réalité encore inconnue… Focus sur trois cas étudiés en Afrique et en Asie.
Le devin est un personnage central de la société Sèmè, ces paysans de l’ouest du Burkina Faso. (Anne Fournier/ IRD)
publié le 3 avril 2022 à 11h17
(mis à jour le 5 avril 2022 à 11h35)
Les samedi 9 et dimanche 10 avril, le musée du quai Branly-Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre ! Deux jours pour explorer le XXIe siècle sur le thème de l’invisible». Partenaire de l’événement, Libération publiera ce jeudi un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur notre site.

Sans doute en avez-vous déjà croisé sans vous en apercevoir. On les appelle des objets intercesseurs : un masque, un jeu de tarot, un coquillage ou même un doudou. Ils sont censés nous protéger, nous révéler une réalité encore inconnue. Dans quasiment toutes les cultures, l’homme a mis en place des rituels pour entrer en contact avec l’invisible. Certains ne nécessitent aucun matériel, sorte de voyage intérieur, mais d’autres ont recours à des objets pour créer ce lien. Ce sont ces fameux objets intercesseurs dont il sera question pendant le week-end «L’ethnologie va vous surprendre».

«Un masque par exemple permet de mettre entre parenthèses un visage pour être pénétré par un esprit surnaturel», détaille Philippe Charlier, directeur de recherche et d’enseignement au quai Branly, avant de poursuivre : «Prenez une relique, une médaille mariale, et même un marron que vous avez ramassé dans la rue pour vous porter chance. Cela en fait aussi partie.» Mais attention, selon la coutume, ces objets ne doivent pas être laissés dans toutes les mains. Ils renvoient à des rituels précis, menés par ceux qui savent, prêtres ou sorciers, et ne peuvent pas être maniés par les non-initiés, au risque de mal faire ou de déchaîner le courroux.

La boîte à souris

Elle témoigne d’un temps où les humains ne mourraient pas mais se transformaient en animaux, comme des souris par exemple. De loin, cette boîte ovale sculptée dans le bois a l’apparence d’un chaudron magique. En réalité, c’est un dispositif divinatoire très ancien de la population Baoulé, en Côte d’Ivoire. En son sein, le réceptacle est divisé en deux étages. Le premier accueille un rongeur et le deuxième une série de petits objets, vis, clous, plumes, grains, coquillages, saupoudrés de farine.

Lorsque la boîte se ferme, la souris monte à l’étage, attirée par la farine, et créé le désordre. Mais pour le devin aux commandes, ce chaos n’a rien de fortuit, ni d’anodin. Au contraire, il se transforme en langage à interpréter. Des réponses à formuler aux questions qui lui sont posées : est ce que je dois voyager ce jour-ci ou me marier avec cette fille-là. La boîte à oracles a parlé…

Tissu à histoires

C’est un tissu brun et noir, fabriqué à la main et originaire du Timor occidental (Indonésie). Une jupe royale, destinée à être portée par un homme le jour de son mariage, et où figurent dix rangées de geckos pour célébrer la paix du futur foyer. «Là-bas, au Timor oriental mais aussi occidental, chaque groupe de population possède ses propres types de textile. Les styles, les couleurs varient, même si on y retrouve souvent les mêmes motifs, lézards, fleurs ou des plantes comme le melon amer. Portés, ces tissus ont une signification, ils démontrent les ancrages sociaux, religieux, politiques de l’individu», détaille Brunna Crespi.

Cette chercheure postdoctorale au musée du quai Branly-Jacques Chirac examine l’impact des projets de développement sur cette île du Sud-Est asiatique, une zone en guerre jusqu’en 1999 et jusque-là peu étudiée. «Au cours de mon terrain, entre 2014 et 2018, j’ai pu observer plusieurs rituels, l’importance des textiles, et la série de récits qui leur sont attachés.» En décembre 2021, ces tissus ont été classés au patrimoine immatériel de l’Unesco. «Beaucoup de tissages ont déjà disparu avec l’évangélisation, la colonisation, les guerres et l’industrialisation. Il était urgent de sauvegarder cette pratique.»

La machine divinatoire

Assis, un bâton de divination à la main et jetant six coquillages, le devin est un personnage central de la société Sèmè, ces paysans de l’ouest du Burkina Faso. Dans leur monde peuplé de génies, il soulage le malheur des hommes. Chez les Sèmès, chaque individu est en effet protégé par des forces invisibles et deux génies qui sont à leur tête, il leur doit prières et sacrifices. En cas de mauvais rêves ou d’ennuis, il lui faut identifier quelles entités sont impliquées et comment y remédier.

Au service de sa communauté, le devin met alors en place un dispositif qui permet de communiquer avec les puissances invisibles et y insère son propre corps. «Pendant le rite, il se livre à une gestuelle minutieuse (9), incompréhensible pour l’étranger», explique Anne Fournier. Cette chercheuse ethnologue à l’Institut de recherche pour le développement, est la première à travailler parmi les Sèmès, chez qui elle se rend tous les ans depuis 2009. Un groupe qui la passionne, notamment par ce rituel divinatoire, «très complexe et qui fait intervenir toutes les institutions de la société». Elle sera présente ce week-end du 9 et 10 avril au quai Branly pour le détailler.