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Ne pas être récupéré par la politique, vraiment?

Les rencontres de l'éducation populairedossier
L’engagement n’a pas disparu mais a changé de visage alors que la politique classique semble définitivement décrédibilisée. Plus que jamais, l’éducation populaire a un rôle à jouer, selon Ulysse Rabaté, auteur de «Politique Beurk Beurk».
Manifestation du mouvement citoyen Youth for Climate, en mars 2021. (Jeff Pachoud /AFP)
par Ulysse Rabaté, enseignant, président de l'association Quidam pour l'enseignement populaire
publié le 2 mars 2022 à 15h21
Du 17 au 19 mars 2022, auront lieu à Poitiers les premières Rencontres nationales de l’éducation populaire. Une réponse politique, sociale et culturelle aux enjeux de demain. «Libération» partenaire de l’événement, proposera le 18 mars à 20h30 une table ronde sur le sujet. A suivre sur notre site.

«Politique Beurk Beurk»… (1) Nous sommes à l’heure du dégoût de la politique, ou plutôt de ce que nous croyons être le dégoût de la politique. Les scrutins électoraux, comme les modes d’engagement traditionnels, sont clairement mis à distance, notamment au sein des jeunes générations. Nous devons faire le deuil d’une certaine manière de faire de la politique, et celui-ci est particulièrement difficile pour celles et ceux qui comme moi, se sont formés et structurés dans les modèles de la gauche du XXe siècle.

Pour autant, l’attention au réel permet d’esquiver toute forme de déploration. L’engagement n’a pas disparu : comme nous avons pu le voir pendant la crise sanitaire, il est même particulièrement dynamique sur ces territoires populaires désignés comme des déserts politiques, par un discours de stigmatisation qui «vise et divise», pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu.

Solidarité concrète via la multiplication des maraudes, organisation des familles contre les violences policières et les conflits entre jeunes, démarches d’écologie populaire à l’échelle des quartiers… Les initiatives qui émergent spontanément sont si nombreuses. Elles revendiquent fortement l’autonomie. Il y a quelque chose à voir entre d’un côté la mise à distance de la politique, et de l’autre les nouvelles formes de mobilisation dont l’obsession est paradoxalement de ne pas être récupéré par la politique. Comme si aujourd’hui, la seule manière possible de «bien faire» de la politique était d’en faire… Contre la politique.

Quel rôle peut jouer l’éducation populaire là-dedans ? Il s’agit de rappeler sa première ambition : donner des moyens publics à la critique, compter sur l’indépendance de la société pour inventer et s’il le faut, résister. N’oublions pas que c’est au sortir de Vichy, et au nom de l’esprit de résistance justement, que la direction de la «Culture populaire et de la formation politique des jeunes adultes» fut créée à l’échelle du pays en 1947. Comment ne pas ressentir la puissance politique d’une telle aspiration dans la France de 2022 ?

Dans le fil inverse de ce besoin, les structures d’éducation populaire ont été ces dernières années en prise avec un dilemme terrible : l’aseptisation ou la disparition. Ce processus n’est pas le fruit du hasard : le néolibéralisme et l’écrasement de «la main gauche de l’Etat» se structurent autour de cette asphyxie de la critique. Le quinquennat d’Emmanuel Macron en a été une parfaite illustration.

La force de l’éducation populaire, c’est d’ouvrir hors de la politique instituée l’espace pour une prise de conscience de la place qu’on occupe dans la société, pour éveiller notre capacité d’agir. C’est évidemment un processus politique, qu’il ne s’agit pas de renier mais au contraire de revendiquer.

Le pire serait de penser que la démocratie n’a pas besoin de cette expérimentation quotidienne, ou que celle-ci s’opposerait aux enjeux électoraux. Là réside aussi un enjeu de la présidentielle qui vient. Si d’aventure la gauche l’emportait en avril, la réussite de son projet dépendra de la mise en mouvement de toute la société. Multiplier massivement les lieux d’éducation populaire sera alors un magnifique défi dans lequel nous prendrons toute notre part.

(1) Politique Beurk Beurk. Les quartiers populaires et la gauche : conflits, esquives, transmissions, de Ulysse Rabaté, éditions du Croquant, 2021.