Près de 2 000 drôles de bougies pour éclairer cent ans d’existence : dans le quartier de Gerland à Lyon, cette fête des Lumières est l’occasion de célébrer l’anniversaire de la cité-jardin, un ensemble d’habitations populaires édifié en 1924 dans le VIIe arrondissement. Vendredi 6 et samedi 7 décembre de 17 h 30 à 21 h 30, dans sa cour centrale, l’«arène», un champ de fleurs lumineux, va éclore à la tombée de la nuit. Il sera aussi possible de déambuler casque sur les oreilles pour découvrir un conte inspiré de l’histoire du patrimoine et de la mémoire collective du lieu. Ces deux œuvres immersives et interactives, Artchibelle de nuit, une installation réalisée par le studio Artchicréa, et BOA, pour «balade oisive auditive» de la conteuse Delphine Thouilleux et des musiciens David Guerra et Victor Roux, forment le projet «La cité comme maison», dirigé par la directrice artistique et médiatrice culturelle Gwendoline Jacquemin.
Pétales géométriques
Cette exploration commune s’est nourrie de l’histoire centenaire de la cité ouvrière et des envies de ses habitants actuels. Qui se sont mobilisés durant des semaines dans les structures du quartier pour mettre la main à la pâte. Ou plutôt… sur les ciseaux : le 22 novembre, se sont tenus les deux derniers ateliers de création de fleurs au Café intergénérationnel, rattaché au centre social de Gerland. Sur la table, Gwendoline Jacquemin a installé le matériel nécessaire : gabarits en papier, feuilles de plastique, feutres, cutter, plaques de peinture verte et rouge réagissant aux UV, photos en noir et blanc photocopiées. Durant une soixantaine d’heures, elle a guidé les travaux manuels des élèves de l’école élémentaire Aristide-Briand, de dix ans la cadette architecturale de la cité-jardin, mais aussi des usagers de la bibliothèque, des locataires de la résidence «autonomie seniors» et de la pension de famille Casa Jaurès, des participants aux chantiers jeunes ou encore des passants lors de séances dans la rue.
Nadine, 47 ans, pousse la porte du Café intergénérationnel pour la première fois. Financé par la ville de Lyon à l’issue du vote d’un budget participatif, ce lieu clair et agréable a ouvert en octobre. En invalidité, Nadine apprécie de «pouvoir bouger un peu et contribuer à un projet». Pour fabriquer sa fleur, Gwendoline Jacquemin lui montre le canevas carré sur lequel elle va pouvoir assembler des fragments de peinture fluo et de reproductions d’images d’époque. Deuxième étape : plastifier la composition, avant d’en découper les pétales géométriques. «Le style art déco est très présent sur les façades de la cité-jardin, on a voulu le mettre en avant, on le retrouve dans le design des fleurs», explique la directrice artistique.
«Ce que les lieux nous laissent»
A l’origine dotée de près de 550 logements, reconnue comme patrimoine digne d’intérêt du XXe siècle, la cité-jardin a été conçue par des disciples de l’architecte lyonnais et urbaniste pionnier Tony Garnier. Quand ils sortent de terre, les appartements spacieux, qui répondent aux exigences hygiénistes, remplacent les baraques où s’entassait jusqu’alors la population immigrée italienne et espagnole. Sa spécialité, la construction, va contribuer à bâtir le visage moderne de Lyon. Ces premiers habitants fournissent aussi une main-d’œuvre précieuse à l’industrie locale. «A la résidence senior, des anciens m’ont raconté l’atmosphère de l’époque, où différentes cultures se mêlaient, retrace Gwendoline Jacquemin. On m’a notamment dit : «“C’était difficile, il pouvait y avoir des mésententes mais on était solidaires.”» Ce «travail sur le souvenir», également réalisé avec les scolaires, permet aux enfants de s’approprier leur adresse, de faubourg laborieux autrefois à secteur prioritaire de nos jours.
Le quartier va faire l’objet d’une réhabilitation d’ampleur, qui démarrera en 2026 pour dix ans, menée par la municipalité et le bailleur Grand Lyon Habitat en concertation avec la métropole. Chaque fleur luisante de «La cité comme maison» constitue ainsi «une carte postale, qui laisse une trace du patrimoine actuel», qu’il soit matériel ou immatériel. Les ateliers avec les habitants ont permis d’en fabriquer près de 250 sur les 2 000 attendues – les autres ont été façonnées par le studio Artchicréa. Au Café intergénérationnel, Nadine s’attelle à la troisième étape, celle du pliage, afin de fixer les pétales dans les encoches et sceller la corolle repliée. Elle sera ensuite attachée sur une tige en bois avec un ressort puis équipée en son cœur d’un boîtier lumineux aimanté. «Tout a été écoconçu et tout se démonte facilement pour que l’ensemble des matériaux puissent être recyclés», précise Gwendoline Jacquemin.
L’autre temps fort de ce week-end des Lumières à la cité-jardin est la Balade oisive auditive. Il s’agit d’un conte sonore conçu à six mains, qui mêle paroles et musique autour de «ce que les lieux nous laissent». Les auteurs se sont imprégné de la littérature historique et ont «échangé avec les habitants pour produire deux récits diffusés en live», explique Gwendoline Jacquemin. Ils ont également capté des sons d’ambiance, utilisés comme trame de fond à la balade d’une quinzaine de minutes. «Jouée au fil de l’eau» pour une vingtaine de personnes, elle devrait donner lieu à une douzaine de représentations, toutes singulières.
«Le public est équipé de casques, avec une régie mobile, il y a des parties enregistrées mais ce n’est pas une bulle fermée, les trois intervenants interagissent en direct avec les visiteurs, détaille la directrice artistique. A partir d’événements marquants, récents ou historiques, ils questionnent la dualité entre humain et nature, et imaginent un avenir souhaitable, désirable.» Avant de quitter le Café intergénérationnel, Nadine confie sa fleur à Gwendoline Jacquemin, qui l’estampille et la répertorie scrupuleusement. Car à l’issue des représentations, chaque petite main du quartier pourra récupérer son œuvre. Le reste du parterre sera aussi disséminé auprès de celles et ceux qui veulent en garder une rémanence.