Menu
Libération
Ecologie

L’architecture explore ses pistes vertes

Matériaux biosourcés, réemploi, renaturation, édifices bioclimatiques, réhabilitation du bâti existant, végétalisation… Pour répondre aux défis posés par la crise écologique, les architectes et urbanistes (ré) investissent de nouvelles façons de bâtir. Tour d’horizon de ces pratiques pour une architecture écologique adaptée au XXIe siècle.
La cité scolaire Emilie-du-Châtelet à Toulouse le 4 septembre 2023. (Patricia Huchot-Boissier/ABACA)
publié le 17 février 2024 à 1h42

Une grande canopée en bois d’angélique pour protéger du soleil, ou du déluge, une salle des pas perdus balayée par les alizés, des salles d’audience aux maçonneries en terre crue et une végétation sur laquelle on intervient un minimum… A Saint-Laurent-du-Maroni, dans l’ouest de la Guyane, la future cité judiciaire, dont le chantier doit débuter à l’été 2025, affiche une double ambition : bâtir de manière durable, plus sobre ou écolo tout en restant ancré dans son territoire tropical, sa culture constructive et sa nature environnante. Le projet, imaginé par l’architecte Marie-Caroline Piot et retenu par l’Agence pour l’immobilier de la justice, privilégie donc des matériaux dits biosourcés (du bois exotique de forêts gérées par l’ONF, des briques de terre crue, etc.), issus de filières guyanaises, s’en remet, entre autres, à la ventilation naturelle pour éviter le recours à la clim, et des apports solaires réduits. «En Guyane, la plupart des matériaux de construction viennent d’Europe, soulève l’associée de l’agence Architecturestudio, basée à Paris. Pour répondre à l’ambition écologique du maître d’ouvrage, il fallait donc limiter l’impact carbone de la construction et de l’exploitation, et travailler avec les ressources du site. C’est aussi notre responsabilité en tant qu’architecte.»

Les futurs édifices sont par ailleurs fidèles à la feuille de route verte que s’est fixée cette grosse agence internationale pour répondre par l’architecture à la crise écologique : le «tracé bleu». Des considérations qui guident de plus en plus d’architectes, d’urbanistes ou de maîtres d’ouvrage pour bâtir bas carbone, sobre, écolo ou frugal (c’est selon) dans l’Hexagone. Tour d’horizon.

Réhabiliter plutôt que construire

C’est un peu la mère de toutes les questions : faut-il encore construire ? Sachant qu’en France, le seul secteur du bâtiment est à l’origine d’un quart des émissions nationales de CO2, génère des quantités astronomiques de déchets chaque année et concourt, par l’étalement urbain, à l’artificialisation des terres. Réponse : le moins possible pour économiser de l’énergie et épargner les sols. Cela passe donc par une maxime assez simple : faire du neuf avec du vieux. Ce qui ne se limite pas à la rénovation des «passoires énergétiques». Et, aussi bien dans les grandes que les petites agglomérations, les projets de ce type sont légion, reconnus par la profession, et témoignent d’une nouvelle manière de faire la ville pour atténuer dans le même temps les conséquences du réchauffement climatique (les vagues de chaleur, par exemple).

Ainsi, à Paris, on ne compte plus les casernes de pompiers, vieilles manufactures, labos universitaires, anciens hôpitaux restructurés ou en cours de transformation en nouveaux bureaux, logements, hôtels ou résidences étudiantes. Côté ruralité, c’est dans le même temps une ferme du XVIIIe siècle transformée en médiathèque à Ferney-Voltaire (Ain) ou une chapelle en ruine en refuge pour randonneurs dans la Meuse. «Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire du neuf, plaidait à ce propos la présidente du Conseil national de l’ordre, Christine Leconte, dans une interview à Libé. Mais il faut que la construction neuve soit extrêmement pérenne, à partir de matériaux durables, autonome en énergie ou, au contraire, extrêmement démontable.» Autre piste envisagée : la réversibilité des bâtiments, expérimentée par l’architecte Anne Démians dans ses tours «Black Swans» à Strasbourg. Soit le fait d’anticiper dans le bâti l’évolution des usages d’un immeuble pour en prolonger au maximum la durée de vie.

Des bâtiments passifs ou bioclimatiques…

Dans la construction neuve comme dans la réhabilitation du bâti existant, impossible de ne plus être économe en énergie. L’affaire est de toute façon réglementaire. Depuis la Réglementation environnementale, la RE2020, tout bâtiment qui sort de terre doit répondre à des critères de performance en termes de consommation d’énergie, y compris lors de la phase de construction. En ligne de mire : la neutralité carbone en 2050. Mais l’architecture bas carbone, qui a son propre label BBCA, est un pas jugé bien insuffisant par certains architectes. Notamment parce qu’elle ne prend pas en compte l’habitabilité des intérieurs dans un monde réchauffé de quatre degrés. Pour agir aussi bien sur le confort d’hiver que d’été tout en restant sobre du point de vue énergétique, de plus en plus de voix plaident donc pour des conceptions autonomes (qui produisent elles-mêmes leurs propres besoins), passives (dont la consommation énergétique est basse, nulle, voire négative) ou bioclimatiques.

«Il faut défendre des solutions qui ne soient pas des usines à gaz techniques. La RE2020 par exemple dirige vers la mise en œuvre de pompes à chaleur. Or ça peut être une fausse bonne solution à ne pas généraliser, défend l’architecte Christophe Aubertin, du studiolada à Nancy. Privilégions les bâtiments bioclimatiques, c’est-à-dire conçus pour fonctionner au maximum avec des apports naturels (du soleil, des vents, etc.).» Autres solutions : miser quand cela est souhaitable sur des techniques simples et vieilles comme le monde, par exemple la ventilation naturelle, par des brasseurs d’air, des terrasses et des coursives, ou l’effet albédo en repeignant les toits en blanc. Ou alors, mettre en commun les espaces et mutualiser les besoins comme dans l’habitat participatif, l’habitat partagé ou l’habitat intergénérationnel. Ces projets, de moins en moins confidentiels en France, ont la vertu de favoriser par-delà l’écologie, le lien social, la solidarité et le vivre-ensemble.

…avec des matériaux écolos et locaux

Mais bâtir sobre ne peut pas dispenser d’une réflexion sur les ressources. «Il faut réduire l’usage des matériaux industriels énergivores comme le béton, l’acier et l’aluminium, soulève Dominique Gauzin-Müller, à l’initiative en 2018 avec Philippe Madec et Alain Bornarel du manifeste de la «frugalité heureuse et créative», aujourd’hui un large mouvement de professionnels. Je ne fais pas partie de ceux qui disent que le béton est à proscrire absolument. C’est au contraire un matériau précieux qu’il faut pouvoir utiliser le plus longtemps possible dans les ouvrages pour lesquels il est indispensable : fondations, ponts, grandes structures, Pour le reste, on peut choisir d’autres matériaux millénaires qui ont déjà fait leurs preuves.» Ce sont la terre crue et la pierre ou encore le bois, la paille, la laine de chanvre ou de lin. Ces matériaux écologiques bio ou géosourcés ont beaucoup d’avantages : ils ont des propriétés techniques, en matière d’isolation thermique et sonore, d’hygrométrie ou de ventilation, égales voire meilleures que leurs semblables industriels, ont démontré leur pérennité dans le temps et ont une empreinte carbone bien meilleure.

Aujourd’hui, le nombre de projets ambitieux ayant recours à ces matières renouvelables va croissant. On pense à la tour Hypérion de Jean-Paul Viguier à Bordeaux, un immeuble de 16 étages et 55 mètres de haut construit en ossature bois livrée en 2021 – la plus haute construction en bois en France à ce jour, mais bientôt concurrencée par un autre immeuble de logements. «Plus de 10 000 bâtiments sont isolés en paille, dont beaucoup d’écoles, collèges, lycées, gymnases, etc. La France est pionnière dans le monde sur la construction en paille», rappelle à ce propos Dominique Gauzin-Müller. «On peut faire des choses élégantes et contemporaines avec les moyens du bord : ce n’est pas un appauvrissement de l’architecture, avance, lui, Christophe Aubertin, qui a signé en 2023 les nouvelles halles de Saint-Dizier (Haute-Marne), dont la pierre et le bois de sapin sont issus de filières courtes. Au contraire, en contrepartie on (re)découvre des matériaux et des écritures architecturales nouvelles se développent.» Dernière piste répondant aux impératifs d’économies de carbone et de réduction des déchets : le réemploi de matériaux, comme les portes, les tuiles ou les châssis de fenêtre. Ce à quoi s’emploient les architectes d’Architecturestudio dans la rénovation en cours de la cité administrative de Nancy.

Redonner sa place au vivant

Remettre de la nature en ville, voilà une autre idée qui a fait son chemin pour rafraîchir les villes minérales à l’instar de Paris ou rendre les sols à nouveau perméables. Mais il ne s’agit pas seulement de planter des centaines d’arbres ou de végétaliser des murs. C’est par exemple débitumer des cours d’école pour ramener in fine de la biodiversité, planter les toits de potagers pour nourrir la ville, favoriser les fermes urbaines et les jardins partagés ou créer des corridors verts, etc. «On prône ce qui va être en pleine terre, pas que du hors-sol. Cela peut participer à la création d’îlots de fraîcheur : le moindre cm² où on peut remettre de la vie, tant mieux», observe l’architecte Benoît Rougelot, cogérant de l’agence Landfabrik, promoteur de la paille. A Montpellier, pour le projet Respire, 131 logements passifs dans le quartier République, l’architecte Marc Lehmann, l’un des concepteurs, a choisi de replacer le vivant au centre du parc d’immeubles un îlot de nature en pleine terre, agrémenté d’une forêt de grands arbres à palabre pour favoriser le sentiment de communauté. Une façon de redonner sa place à la faune et la flore en ville tout en offrant de l’ombre et de la fraîcheur. «On parle de renaturation plutôt que de végétalisation», précise l’associé d’Architecturestudio. Encore faut-il que cela ne soit pas un geste purement cosmétique ou esthétique.