Tribunes, reportages, analyses… Cette année encore, Libération accompagne le festival Agir pour le Vivant qui tiendra sa troisième édition à Arles du 22 au 28 août.
Au-delà d’un simple recyclage des précipitations au niveau local, les forêts sont à l’origine d’un transfert d’humidité atmosphérique des océans vers l’intérieur des continents grâce à des cycles répétés d’évapotranspiration et de condensation. La découverte par les chercheurs russes Victor Gorshkov et Anastassia Makarieva de ce rôle jusqu’alors ignoré va nous amener à réévaluer l’importance des forêts naturelles et la nécessité de les maintenir pour assurer le fonctionnement des régimes hydrologiques terrestres globaux et locaux.
En effet, l’eau nécessite une énergie considérable pour s’évaporer au-dessus de la forêt (600 calories par gramme), énergie qu’elle restitue sous forme de chaleur en haute atmosphère au moment de la condensation et de la formation des pluies. Ainsi, l’impact extrême du rayonnement solaire est absorbé grâce à des écosystèmes riches en eau comme le sont les massifs forestiers.
Dans ce contexte, la situation actuelle est beaucoup plus critique qu’on ne l’imagine. Le danger réside dans les coupes rases effectuées sur de grandes surfaces, entamant les massifs naturels fermés très riches en eau, dont on sait qu’ils ne peuvent brûler spontanément. Il se forme ainsi des fronts de coupe exposés à un rayonnement solaire intense, provoquant un dessèchement des arbres mis à nu. Les incendies de forêt peuvent alors se déclencher, s’autoalimenter et devenir incontrôlables. Perspective à moyen et long terme, si cette tendance suit son cours : un dérèglement irrémédiable des systèmes hydrologiques naturels, suivi d’une mise à nu des terres, d’une érosion de la couche d’humus fertile pour finir en désertification dramatique des écosystèmes vitaux de notre planète.
«Châteaux d’eau»
Déjà, nous observons que les périodes de canicule surviennent de plus en plus tôt, avec d’inquiétants records de température et des effets plus inquiétants encore sur le régime des eaux dont dépend notre agriculture. Face à cela, la brutalité avec laquelle certaines de nos forêts tempérées sont traitées illustre à quel point les responsables en question semblent ignorer le rôle essentiel qu’elles jouent dans nos écosystèmes naturels et cultivés.
En effet, nos forêts, pour autant qu’elles soient naturelles dans leur composition et respectées dans leur intégrité spatiale (que les forestiers caractérisent par le «degré de fermeture»), constituent les «châteaux d’eau» de nos paysages habités, de manière analogue aux glaciers de haute montagne. Stockant une grande partie des eaux de pluie, elles garantissent un débit permanent de nos sources et de nos rivières et alimentent les nappes phréatiques en eau pure. Pour garantir la pérennité de cette fonction vitale, le sylviculteur averti s’efforce de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger le sol forestier contre l’impact direct du soleil avec son effet desséchant, et l’intensité des éclaircies et des récoltes de bois permettant le rajeunissement naturel.
Or les observations des forestiers de terrain et les résultats des recherches les plus récentes mettent en évidence que cet équilibre est non seulement réalisable, mais aussi favorable à la résilience de la forêt face aux impacts climatiques. En effet, ce n’est pas par de coûteuses plantations de jeunes arbres sur un terrain mis à nu, remplaçant le massif de la forêt naturelle, qu’on lui permettra de s’adapter aux changements climatiques. C’est bien plutôt en laissant libre cours à la sélection naturelle et aux symbioses ayant lieu dans des peuplements disposant de toute la diversité des essences nécessaires à cela, et ceci dès les premiers stades de développement issus de la germination.
Futaie jardinée
Progressivement, le sylviculteur accompagnera cette dynamique pour favoriser les plus beaux exemplaires. Ce sera l’exception plutôt que la règle s’il va planter certaines essences peut-être trop peu représentées. La forêt s’en portera mieux si cela se fait sur de petites surfaces, en ménageant ainsi au maximum l’humidité naturelle du sol. Un aperçu à la fois clair et détaillé de ces enjeux a été mis en évidence par le professeur Jean-Philippe Schütz, l’un des plus grands experts en recherche et pratique forestière naturelle, en particulier sous le régime de la futaie jardinée.
Aujourd’hui plus que jamais, il s’agit donc de faire preuve de retenue dans la gestion du patrimoine forestier que nous ont légué les générations précédentes, de mettre fin à nos pratiques délétères des coupes rases. Les enjeux sont clairs : nous devons cesser de réduire la forêt à une simple ressource matérielle à exploiter sans modération. L’homme doit apprendre à en connaître le fonctionnement afin de garantir la pérennité de ses processus vitaux. Il s’agit de comprendre que la forêt naturelle possède tous les attributs d’un organisme vivant (y compris les complexes interactions flore-faune) et, qu’en tant que tel, elle doit être appréhendée et gérée avec tout le tact requis. Il est alors en mesure de pouvoir prélever une part de la production, part que le sylviculteur sait évaluer avec précision, garantissant le bon fonctionnement de «l’écosystème forêt», dans toute sa dynamique.