Conférences et débats ; rencontres avec des biologistes, écologues, architectes, philosophes ou sociologues… Du 20 au 22 mai à Rouen, la Fédération BioGée et la ville de Rouen organisent les journées «Naturellement!» avec un but cette première année: expliquer et comprendre l’importance de la nature en ville.
Les métropoles sont particulièrement vulnérables aux changements globaux sur lesquels nous alertent les scientifiques depuis plusieurs décennies, qu’ils soient climatiques, liés à l’érosion de la biodiversité ou aux crises sociales et politiques. Artificialisées, bitumées, polluées, elles ne garantissent plus un habitat pérenne et épanouissant pour les humains et non humains. Menacées, elles n’offrent plus que des horizons incertains, des perspectives d’avenir chaotiques et anxiogènes. Nos conceptions urbaines sont mises en cause.
La question de l’habitabilité des espaces urbains se pose avec d’autant plus d’acuité que leur vulnérabilité est en grande partie liée à la disparition des milieux naturels qui fragilisent les biotopes territoriaux et leur adaptabilité. Les villes, grandes ou petites, se sont construites contre la nature. Elles ont cherché à la maîtriser, pour se protéger de ses aléas, pour l’exploiter (agriculture, extraction de matériaux) ou la mettre en scène dans un souci esthétique ou récréatif. Encore aujourd’hui, si de nouveaux quartiers aménagés, en particulier les écoquartiers, sont parés de sols perméables, de noues plantées, de toitures et façades végétalisées – ce qui est déjà une grande avancée –, ils restent souvent prisonniers d’une vision utilitariste de la nature.
Un partage territorial de la vie
Les services écosystémiques limitent la nature à une vision servicielle et anthropocentrée (on plante des arbres pour l’absorption des CO2, la création d’îlot de fraîcheur, la filtration et la récupération des eaux de pluie) et non pour restaurer des territoires vitaux qui seront source d’expériences pour les êtres qui y vivent. Ils nous coupent du vivant et plus largement d’une considération de l’écologie territoriale. Peut-on vivre dans le déni des multiples manifestations du vivant qui compose chaque lieu ? Rien qu’un mètre carré de sol forestier peut contenir plus de 1 000 espèces d’invertébrés. Peut-on faire fi de l’expérience des éléments naturels (le vent, les lumières, le climat…) ? Peut-on continuer à ne pas habiter en écho avec notre demeure terrestre et ses multiples expressions de la vie ?
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Renaturer nos espaces métropolitains par un désasphaltage massif des rues, places, quais et de tout autre espace imperméabilisé est une nécessité. Ménager les sites, les reliefs, la qualité des sols en pleine terre, des végétaux et trames arborées, vise à réactiver des habitats, à accueillir une diversité d’espèces, à régénérer les milieux naturels selon les cycles et aléas du climat (y compris ceux à venir). Réhabiliter des territoires communs aux végétaux, aux animaux et aux humains en ville induit de vastes espaces de nature maillés entre eux, une valorisation de tous les interstices naturels déjà là (délaissés, friches, lisières…). C’est une autre conception urbaine, alliée à la nature, qu’il s’agit d’inventer pour un partage territorial de la vie. Cette écologie urbaine dépasse les enjeux d’agrément, de loisirs ou de solutions technico-environnementales. Elle cherche à recréer des habitats propices à la biodiversité, à perpétuer les équilibres écologiques locaux, à nous réancrer dans le monde animé.
D’autres récits idéels et sociétaux
Réinventer nos liens aux territoires vivants ravive nos expériences sensorielles, notre conscience de la diversité du vivant, et par extension questionne notre manière d’habiter les lieux. La nature, comme nous le rappelle son origine latine, natura, exprime la force qui engendre, qui crée le vivant, le cycle de la vie. Etre en relation avec la nature nous confronte à la vie, à des milieux animés. Il nous met à l’épreuve de notre propre existence. C’est ce que Jean-Paul Sartre (dans la Nausée, 1938) exprimait quand il décrivait ses vertiges et questionnements sur le vivant face à la vue d’une racine. La nature offre une filiation avec le sensible, par les sensations et les sentiments qu’elle favorise, les imaginaires qu’elle sollicite, les émotions du monde qui nous dépasse qu’elle suscite. Se promener dans une forêt nous immerge dans les vibrations et sonorités de la vie autour de soi. Nos pas s’enfoncent dans la terre meuble. Nous sentons les essences des feuillages qui s’exhalent avec le vent. Nous savourons la fraîcheur créée par la voûte des arbres. Nous sommes saisis par le mystère de nos existences. Nos sentiments d’être se révèlent et réactivent nos imaginaires. Ils amorcent d’autres vécus, d’autres récits idéels et sociétaux, d’autres manières d’habiter en résonance avec la biosphère.
Développer les milieux naturels, multiplier nos expériences et notre conscience des manifestations de la nature, de notre présence sur terre, renouvelle notre rapport écologique et sensible aux espaces édifiés. Il nous invite à placer la qualité de la vie comme dessein de notre habitation et comme enjeu premier face aux menaces annoncées.
Osons accompagner la nature à reprendre ses droits et se régénérer face aux changements à venir. Osons renouer avec les vibrations de la nature pour retrouver une saveur de vivre en lien avec la multiplicité des formes d’existences. Offrons-nous des horizons fondés sur la vie et le plaisir et non la survie et la peur. Renouons avec le vivant, écologisons nos villes.