Le 12 juillet, en partenariat avec le Festival d’Avignon et Avignon Université, l’Afdas organisera le premier Forum de l’inclusion économique dans la culture et les industries créatives. Libération, partenaire de l’événement, publiera sur son site tribunes, reportages et enquêtes sur le sujet.
Il est des phrases de poète sur lesquelles on bâtit des projets et peut-être même des vies, et c’est bien cela leur force, leur pouvoir. Ainsi suis-je redevable à Rabbi Nahman de celle sur laquelle j’ai en partie construit le projet Latitudes Contemporaines : «Ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer.»
Cette phrase a encore résonné dans la période extraordinaire où chacun·e d’entre nous, directeur·rice·s de structures culturelles, avons fait face aux annulations de programmation, à la gestion des reports de reports de spectacles et travaillé à maintenir le moral et la cohésion de nos équipes au milieu du chaos et de la gestion «stop-and-go». Après être passé·e·s par l’incrédulité, l’hésitation, l’espoir, voire la résistance, nous faisons maintenant face à de nouveaux enjeux : celui du retour du public dans nos salles bien sûr, mais surtout ceux d’un avenir à l’aune du dérèglement climatique, des droits culturels et de l’inclusion des minorités et diversités de notre complexe et mouvante humanité.
Mépris de classe
Nos sociétés traversent des bouleversements qui nous obligent à l’introspection. Pour repenser un projet, il faut accepter la rupture du modèle qui le précède, décider de se perdre en chemin et laisser la place aux possibles. Revenir à la source, à l’essentiel, à sa raison d’être et reposer des questions simples : que construisons-nous ensemble ? Et qui incluons-nous dans cet «ensemble» ?
Au soir du second tour des législatives, un journaliste radio a demandé à son invité : «Que pensez-vous d’une députée qui a un niveau de français de CM2 ?» faisant allusion à Madame Rachel Kéké qui accédait à la députation. Au-delà de toute considération partisane, j’entendais là l’expression non contenue d’un mépris de classe devant une «femme de ménage» – peut-être d’autant plus qu’elle avait mené le combat pour améliorer les conditions de travail des femmes de chambres contre un grand groupe hôtelier – qui n’avait a priori pas sa place à l’Assemblée nationale.
Comment dès lors prétendre travailler à l’inclusion sans lutter contre les discriminations ?
«Quand vous sentez-vous vivante?»
Nous traversons une période d’accroissement des inégalités sociales, culturelles, éducatives, médicales ; entre individualisme et montée des nationalismes, les questions liées à l’accueil de réfugié·e·s, aux risques écologiques croissants… provoquent la perte d’un récit commun. Mais la pandémie et les multiples conflits nous mettent face à nos responsabilités. Le chaos est là qui nous interroge : Quel monde souhaitez-vous ? Quels sont vos rêves communs ? Quelle est la place de l’humain ? Quelles sont vos utopies partagées ?
De façon symptomatique, une philosophe me demandait il y a quelques jours «Quand vous sentez-vous vivante ?» Je sais que je ne me sens jamais plus «vivante» que lorsque je suis déplacée, questionnée, bousculée dans mes certitudes culturelles, mes références sociales, notamment par l’inédit ou par un.e autre qui ne me ressemble pas et qui par sa différence me nourrit
Je pense qu’il nous faut davantage, tel·le·s des lanceur.se·s d’alertes, mettre le doigt sur ce que personne ne veut voir, sur ce que l’on s’obstine à rendre inaudible. C’est cela «mettre la culture au cœur de la société», travailler de manière transversale avec les champs socio-éducatifs, médicaux, sociaux, caritatifs… afin de partager nos expériences et nos projections avec tout·e·s, ne jamais cesser de construire les passerelles du «commun». Et je suis convaincue qu’il faut utiliser cette période de crise exceptionnelle en catalyseur d’un nouveau pacte social, d’un chemin redéfini pour à nouveau nous égarer à l’invitation des poètes.