En 2021, les migrants zimbabwéens ont envoyé 1,5 milliard de dollars au pays, dépassant largement l’aide internationale en direction de l’économie du pays. Cette donnée préliminaire au documentaire pose la problématique au Zimbabwe, qui n’en est plus à sa première grave crise économique. Les plus de 20 ans ont encore en mémoire les brouettes de billets (certains de cent milliards en 2009) qu’il fallait pour payer n’importe quelle denrée au pays de Robert Mugabe.
Originaire de ce pays, Rumbi Katedza nous plonge au cœur des galères quotidiennes de Mamlilo, une mère de famille de la classe moyenne qui vit à Bulawayo mais dont trois enfants sont partis à l’étranger : l’aîné en Afrique du Sud dès 2008, pour une question de survie en raison de ses orientations sexuelles, les deux autres en 2015 en Angleterre. Ils y ont construit une nouvelle vie, faite de multiples boulots. La dernière fille, Kiki, survit à Harare et rêve d’émigrer en Pologne. Et même si la situation de l’exilée économique ne faisait pas partie de ses plans de carrière, elle veut «essayer quelque chose» pour s’en sortir. Pour l’y aider, et pour aussi subvenir au quotidien de leur mère, ses trois frères et sœur font parvenir régulièrement ce qu’ils peuvent. Une centaine de livres, deux cents parfois, cinq cents dollars s’il le faut, pour la famille – certains cousins étant aussi dans le besoin, sans compter leur grand-mère. Le téléphone portable est devenu le cordon ombilical de cette famille. Leur quotidien est ainsi rythmé de conference call, de messages d’urgence et d’appels incessants, pour prendre des nouvelles, et organiser le transfert d’argent.
A travers un ambitieux dispositif filmique (les séquences tournées au Cap, à Luton, Londres, Harare, Bulawayo se répondent «naturellement»), la documentariste zimbabwéenne a choisi donc ce prisme, une famille contrainte à l’éclatement, pour dépeindre de l’intérieur les flux qui submergent l’Afrique : migratoire et monétaire. Et en filigrane, on pénètre des fragments de l’intimité de chacun, ceux restés au Zimbabwe, terre natale qu’ils veulent quitter, la même qui manque tant aux autres quand ils sont à l’étranger. Ici, on n’est plus à un paradoxe près, quand on sait les richesses du pays. Alors, il faut garder le lien, à tout prix, et cela passe par les attentes constantes à l’égard de la diaspora, qu’on imagine mieux fortunée. Comme dit Miles le benjamin qui a construit sa vie à Londres. «Chaque mois, je reçois un message d’urgence, et c’est mon devoir d’y répondre.»