Soluval, à Aniche, près de Valenciennes, a les apparences d’une casse automobile classique, à un détail près : c’est une entreprise d’insertion professionnelle. Elle a une double obligation : «Il faut réussir économiquement et socialement, résume son directeur, Rémy Oulouna. Notre développement économique nous permet d’accueillir davantage de personnes en difficulté. S’il y a une rentabilité, elle est redistribuée aux salariés ou investie dans l’entreprise.» Soluval est une filiale de Vitamine T, un groupe de l’économie sociale et solidaire, investi dans l’inclusion. En 2021, 3 774 personnes y suivaient un parcours d’insertion. Vitamine T est la propriété d’un fonds de dotation, afin de «sanctuariser son objet social» et sa gouvernance désintéressée, explique son rapport d’activité 2021.
Rémy Oulouna travaillait déjà dans l’entreprise de son père quand elle a été rachetée en 2009 par Vitamine T. Il a alors découvert le monde de l’insertion professionnelle, où «l’intérêt est avant tout l’humain», note-t-il. A l’époque, la casse comptait 14 salariés, elle en emploie aujourd’hui 50, dont 30 en parcours d’insertion. «Nous nous recevons des publics très éloignés de l’emploi, que nous embauchons et accompagnons pendant deux ans», explique-t-il. Grâce à des aides de l’Etat : 300 000 euros en 2021 sur un chiffre d’affaires de 5,4 millions d’euros. Le dirigeant poursuit : «Nous leur mettons un pied à l’étrier, nous leur redonnons les codes, respecter les règles de vie en communauté, le règlement intérieur, comme arriver à l’heure.» Entre 65 et 75 % des sorties sont positives chez Soluval : au bout des deux ans de contrat, les hommes et les femmes ne se retrouvent pas à la case chômage, mais décrochent un CDI, un CDD de trois mois, un poste en intérim ou une formation qualifiante.
«Je suis les gens de A à Z»
C’est le résultat de l’accompagnement d’Emmanuelle Thiebaut, la conseillère en insertion sociale et professionnelle. Avec chaque nouvel arrivant, elle définit un parcours d’insertion, avec les formations nécessaires, les stages en immersion, les ateliers consacrés au CV et à la réussite des entretiens d’embauche. Elle tente aussi d’aplanir les freins à l’emploi, que ce soit un problème de logement, d’absence de permis de conduire, d’illettrisme ou d’addiction. «Je suis les gens de A à Z, du recrutement jusqu’à leur fin de contrat, et toujours à partir de leur projet personnel. Même s’il n’est pas réalisable, ce n’est pas à moi de leur dire, mais à eux de s’en rendre compte», explique-t-elle. Tous les profils coexistent, des jeunes sans qualification, des sortants de prison ou en aménagement de peine, des chômeurs en fin d’indemnisation envoyés par Pôle Emploi. Ou trop âgés pour retrouver un poste, comme Malika, 58 ans, qui travaille dans les bureaux. Sa collègue était auparavant ouvrière dans une usine automobile : «La chaîne, c’est terminé. Mais sans aucune compétence administrative, personne d’autre que Soluval ne m’aurait donné ma chance», dit-elle.
Soluval est une casse, certes, mais sans monceaux de ferrailles ou d’épaves gisant à même le sol. La profession a fait sa mue, respecte des normes écologiques, avec obligation de bétonnage complet du site et bassin de rétention pour récupérer les fluides polluants, liquides de frein et autres. Elle est entrée dans la logique de l’économie circulaire. Les voitures sont dépolluées et dépiautées sur une ligne dédiée. Les pièces encore utilisables sont référencées et rangées dans un grand hangar : s’y alignent les portières de toutes les couleurs, les blocs-moteurs nettoyés, les phares et autres calandres. Il y a même un studio photo, pour la plate-forme d’e-commerce et les acheteurs en ligne. Le marché des pièces d’occasion se développe, note Rémy Oulouna. «Même les assurances s’y sont mises, et préconisent l’occasion pour une réparation quand un véhicule a un certain âge.»
«Si je peux renvoyer la balle, c’est bien»
A côté de cette activité traditionnelle, Soluval a aussi deux ateliers, un de mécanique, l’autre de carrosserie. Sur ce dernier métier, impossible de faire de l’insertion, regrette le chef d’entreprise : il demande des compétences trop pointues pour y intégrer des néophytes. Il est aussi difficile de trouver des chefs d’atelier qualifiés, sur ce secteur d’emploi en tension. Car les salariés en parcours d’insertion, en plus de l’accompagnement d’Emmanuelle Thiebaut, bénéficient des conseils de leurs responsables, des encadrants techniques d’insertion, formés pour ce job. C’est le rêve justement de Johan, 31 ans : «On m’a aidé de 22 à 30 ans, si je peux renvoyer la balle, c’est bien», sourit-il. Il apprécie son contrat d’insertion : «C’est une source de revenus, mais aussi une fatigue intéressante à la fin de la journée. Quand on ne travaille pas, on est aussi fatigué, mais là, c’est une fatigue bien.»