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Libération
Promenons-nous dans les bois

Bondy, un coupe-gorge pour Robespierre

Promenons-nous dans les boisdossier
Chaque jour de l’été, une forêt, bien réelle ou imaginaire. Aujourd’hui, l’ancienne no-go zone forestière du nord de Paris
(Coco/Libération)
publié le 24 juillet 2023 à 2h22

La forêt de Sherwood, le maquis corse, la forêt du Marsupilami… Retrouvez tous les épisodes de «Promenons-nous dans les bois».

Promenons-nous dans les bois de Bondy, pendant que les bandits n’y sont pas. «Il faut prier M. Robes­pierre d’aller débiter son opinion dans la forêt de Bondy.» La réplique fuse depuis les bancs situés à droite de la tribune du président, ceux où s’installent les députés opposés à la Révolution. Le 30 mai 1791, alors que l’Assemblée constituante débat du futur code pénal, une forêt s’invite dans la salle du Manège des Tuileries. Si cette saillie de l’abbé Maury n’est pas très intuitive aujourd’hui, à l’époque, tout le monde comprend ce que veut dire le parlementaire conservateur en interrompant de la sorte Maximilien de Robespierre en plein discours contre la peine de mort. En gros : «T’es bien gentil mon petit pote, mais va donc chanter ton couplet droit-de-l’hommiste dans la no-go zone où l’on se fait trucider pour trois francs six sous, ça divertira les écureuils.»

A la fin du XVIIIe siècle, la forêt de Bondy n’est pas qu’un vaste espace boisé aux portes de la capitale, c’est un lieu commun, qui désigne dans le langage courant un coupe-gorge. Elle a la réputation d’abriter brigands et détrousseurs en tout genre et, paraît-il, on s’y fait facilement occire. Surtout que si on s’éloigne des grands chemins, on peut vite se perdre : le massif forestier fait alors des dizaines de lieues. Sur la carte de Cassini, on distingue nettement cette grande tache vert sombre qui s’étire le long de la route d’Allemagne, la future RN3.

De nos jours, la forêt est bien moins impressionnante : elle a été grignotée siècle après siècle par l’agriculture, les carrières de gypse puis l’urbanisation. Demeurent quelques centaines d’hectares, sur les hauteurs, qui surplombent le cœur de la Seine-Saint-Denis. On n’y croise plus de brigands mais des cyclistes en lycra fluo, des amis des oiseaux ou de jeunes amateurs d’accrobranche. Mais la majeure partie de la forêt de Bondy est un fantôme. On en retrouve les traces spectrales dans le «sous-Bois» qu’arborent les villes du coin (Aulnay, Clichy, Les Pavillons…) et dans le nom de certaines de leurs cités. Le Chêne-Pointu, la Forestière ou les Bosquets sont de béton, et c’est cette forêt grise qui, désormais, fascine et effraie.