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Libération
Promenons-nous dans les bois

Dans les jungles enfantines du Douanier Rousseau

Promenons-nous dans les boisdossier
Chaque jour de l’été, une forêt, bien réelle ou imaginaire. Aujourd’hui, on quitte la ville en plongeant dans une toile du musée d’Orsay.
(Coco/Liberation)
publié le 28 juillet 2023 à 3h21

La forêt de Sherwood, le maquis corse, la forêt du Marsupilami… Retrouvez tous les épisodes de «Promenons-nous dans les bois».

Promenons-nous dans la jungle, pendant que le peintre n’y est pas. Les Parisiens ne le savent pas, mais lorsqu’on se balade dans les rues enfumées et bruyantes de la capitale, l’un des meilleurs moyens de s’échapper au plus vite dans une forêt est de filer au musée d’Orsay et de sauter dans un tableau du Douanier Rousseau, tandis que le gardien ne regarde pas.

Il faut faire attention, bien sûr, car la charmeuse de serpents aux formes affriolantes qui garde l’entrée de ces bois touffus pourrait lancer sur nous ses bêtes glissantes et provoquer sifflements, morsures et mort certaine. Au point que le flamant rose (ou est-ce un canard revenu du carnaval de Dunkerque ?) surgi du lac voisin ne nous serait d’aucune utilité, plutôt du genre à se moquer de nous, agonisant. Au clair de lune, les roseaux se dressent droits et la courbe des branches laisse imaginer un paradis à celui qui osera les franchir.

A chacun de mes passages, je regrette qu’Orsay n’abrite qu’une seule forêt du Douanier et je rêve de me rendre à Philadelphie où elles sont en nombre, pour admirer les singes, les perroquets, pour croiser une femme à chapeau en robe rose sous des oranges et en tomber amoureux, ou pour fuir devant le tigre qui dévore un éclaireur. On ne voit plus que les pieds ressortir tressaillants des bosquets comme autant de signes de la vie qui s’en va. Moi, dans cette affaire, j’ai mis mon plus beau haut-de-forme et une veste en queue-de-pie toute blanche. Il ne s’agit pas tant d’être confortable et de porter les vêtements adéquats que d’être vu sur le vert qui tapisse l’horizon, pour devenir un personnage comme un autre du tableau.

Henri (Rousseau) voulait réussir sa vie, être aimé, être beau, gagner de l’argent, et on ne sait pas si hors de ses peintures les filles étaient nues et se jetaient sur lui, mais, ce qu’on sait, c’est que malgré toutes les moqueries pour son art naïf, il était un artiste. Et si ses jungles enfantines sont autant de clichés d’une époque, d’espaces lointains rêves que l’on fantasme à grands coups de couleurs, la douceur des formes, la plénitude proposée sans que tout danger soit écarté continue de trouver écho en nous.