Les vampires, une histoire sang fin
Un château gothique noyé dans la brume et les orages au fin fond de la Transylvanie. Une silhouette longiligne, sépulcrale, glissant sur le sol de marbre glacé… «Son nez aquilin lui donnait véritablement un profil d’aigle. La bouche avait une expression cruelle, et les dents, éclatantes de blancheur, étaient particulièrement pointues […] les oreilles étaient pâles, et vers le haut se terminaient en pointe…» Bienvenue dans l’univers du comte Dracula. Depuis la fin du XIXe siècle, la figure du vampire est en effet intimement liée au personnage du roman de Bram Stoker. Distingué, noble et sensuel, rajeunissant après s’être abreuvé du sang de ses victimes… Et désormais le plus souvent incarné au cinéma par des acteurs au physique à se damner (Tom Cruise, Brad Pitt, Robert Pattinson…).
La vérité «historique» est pourtant tout autre : «Si les vampires ne datent pas d’hier [les premières légendes remontent à l’âge du bronze, ndlr] c’est au XVIIIe siècle que le mythe que l’on connaît a pris forme, détaille Philippe Charlier, directeur du département de la recherche et de l’enseignement du musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac, ancien médecin légiste et grand spécialiste du sujet (1). En Silésie, Moravie, Serbie… des phénomènes répertoriés par un moine bénédictin, Dom Calmet, dans un traité publié en 1746.» Mais point de nobles distingués ou de beautés fatales au long cou gracile, «il s’agissait exclusivement de paysans, de gens du peuple, des “culs-terreux”».
Et de fait, quand démarre cette vague de vampirisme, l’Europe centrale est en plein chaos : carences nutritives pouvant entraîner des hallucinations, guerre avec les Turcs, brigandages, épidémie de peste… «On enterrait un peu vite pour éviter la contagion.» D’autant qu’à l’époque, on connaissait mal les signes de la mort. «On découvrait des corps gorgés d’un sang liquide et vermeil. Ce qui est parfaitement normal. Après avoir coagulé, le sang se reliquéfie. Il “bouillonne” même longtemps après la mort sous l’effet de la putréfaction et des gaz». Idem pour les écoulements par la bouche et le nez qu’on attribuait à des orgies de sang frais. «Non, il s’agit de simples nécroses hémorragiques des muqueuses. Bref, rien que ne puisse expliquer aujourd’hui la science médico-légale». Reste la légende et ces histoires à mourir debout.
Les zombies : un peu, vaudou, à la folie
C’est de toute évidence le cultissime nanar la Nuit des morts-vivants, film d’horreur à bas budget réalisé par George A. Romero en 1968 qui a donné un second souffle aux zombies. Depuis, cinéma, musique ou SF utilise à toutes les sauces, et à grandes giclées d’hémoglobine, ces créatures cyanosées, en état de mort cérébrale, arborant plaies, cicatrices et mutilations, quand elles ne sont pas en état de décomposition plus ou moins totale… La fiction se nourrissant des peurs du temps, les zombies contemporains sont désormais victimes d’un virus, d’une catastrophe nucléaire ou chimique, symboles des dangers menaçant notre civilisation. Si l’idée qu’il puisse exister des «morts vivants» parcourt les siècles et les civilisations, l’origine du mot et du phénomène sont en revanche parfaitement datés et localisés : la religion vaudou et Haïti au XVIIe et XVIIIe siècle.
Les zombies (du créole haïtien «zonbi» désignant un mort sorti de sa tombe) sont des corps sans âme. «En marge du vaudou officiel [religion syncrétique issue de croyances africaines et de catholicisme, ndlr], il existe des sociétés secrètes où officient de puissants sorciers, descendant des esclaves marrons, explique Philippe Charlier. Lorsqu’une famille est victime d’un voleur, d’un assassin ou d’un violeur, ces sorciers vont faire justice en condamnant ces individus à une peine “pire que la mort”». Ils vont être prévenus, intimidés, «mis en condition», puis un matin la personne va avoir dans ses vêtements ou ses chaussures de la poudre zombie, «une composition à base de tétrodotoxine, un puissant neurotoxique que l’on extraie de certaines espèces de poisson, comme les tétraodons [poisson-globe également appelé Fugu] qui va le plonger dans un état de catalepsie» ; à laquelle on rajoutera, pour la magie et le folklore, de la poudre d’ossements humains, de la terre de cimetière, du jus de crapaud, sang de vipère…
Le «zonbi» sera alors mis dans un cercueil par des complices du sorcier, déterré quelques heures plus tard puis il lui sera signifié son nouveau statut d’esclave. Continuellement drogué avec des barbituriques ou des psychotropes, privé de nourriture et de sel, on l’expédiera dans quelque plantation reculée, où l’on croise parfois ces morts-vivants travaillant très, très, lentement. Un état qui durera des années, jusqu’à ce que la mort de son maître lui permette éventuellement de retrouver un état (presque) normal.
Les loups-garous : la rumeur sort les crocs
En 1764, la jeune Jeanne Boulet, 14 ans, fut retrouvée mutilée près du village de Saint-Etienne-de-Lugdarès (Ardèche). Une des innombrables victimes, le cou arraché et la tête dévorée, de ce que l’on appela la «bête du Gévaudan». En mal d’émotion alors que vient de s’achever la guerre de Sept Ans, les gazettes s’emparent du fait divers, alimentant toutes sortes de rumeurs et croyances, dont celle d’attaques d’un immense loup-garou.
Les «leus warous» (homme-loup en vieux français) ou lycanthropes (nom savant issu de la mythologie grecque – Lycaon, roi d’Arcadie ayant été transformé en loup après avoir fait manger à Zeus de la chair humaine) sont des humains qui sont ou se sont transformés en animal. En France, pays de légendes infestées de loups féroces, d’innombrables récits témoignent des atrocités commises par ces démons mangeurs d’enfants à la pleine Lune. Et les archives ecclésiastiques détaillent les procès ayant amené au bûcher les pauvres hères ayant reconnu ces crimes sous la torture. Des récits souvent similaires : métamorphose, bestialité, perte de la mémoire, soumission au Diable…
Comme toujours, derrière le mythe et les croyances, une interprétation symbolique : «La folie et la bestialité. La peur de la perte de l’aspect civilisationnel de l’homme et un retour de son animalité incontrôlable, criminelle», analyse Philippe Charlier. Mais également des explications médicales que la science peut aujourd’hui détailler. Parmi elles, en premier lieu, la rage qui provoque hallucinations, comportements agressifs et hypersalivation ; l’hypertrichose (ou hirsutisme), maladie génétique responsable d’une croissance excessive des cheveux et des poils, y compris sur le visage ; des déformations crâniennes ou de la dentition, voire «une sensibilité à la lumière (porphyrie) qui peut provoquer sur les membres une épidermolyse bulleuse. Une explication d’ailleurs proposée pour les vampires». Au final, «dès qu’on se trouve face à une mort sauvage, bestiale, on l’attribue à un loup-garou !» L’occasion de brûler quelque pauvre diable en accusant le Malin. Et d’éviter au passage de chercher d’éventuels coupables bien humains : brigands, soldatesque ou notables…
Les momies : ne leur cherchez pas dépouilles
C’est Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, grand féru de spiritisme et de mystères, qui, le premier, évoqua «la malédiction de Toutânkhamon». Il faut dire que l’écrivain, comme nombre de reporters chargés de couvrir l’extraordinaire découverte de la Vallée des Rois en 1922, n’avait que peu d’informations à se mettre sous la dent (l’archéologue Howard Carter ayant accordé l’exclusivité de ses exploits au Times). Dès lors, la momie la plus célèbre du monde (et toutes ses consœurs) vint enrichir dans l’imaginaire populaire la grande galerie des morts-vivants au côté des vampires, loups-garous et autres spectres. Un thème que les romantiques (à l’instar de Théophile Gautier) avaient commencé à explorer au XIXe siècle.
Malédictions, vengeance, châtiment et… érotisme (il suffit de regarder la plastique de quelques interprètes féminines : Sofia Boutella, Patricia Velásquez ou Cara Delevingne), le cinéma ne pouvait rater le filon : «C’est toujours la même histoire, s’amuse Philippe Charlier. La découverte de la momie d’un noble ou d’un prêtre qui a été, soit momifié vivant, soit tué alors qu’il vivait un grand amour. La momie ressuscitée revient pour retrouver son âme sœur.» Des scénarios à mourir de rire qui s’appuient pourtant sur une réalité archéologique bien réelle : celles des momies hurlantes…
Une bouche béante comparable au Cri d’Edvard Munch, la tête renversée en arrière, les membres crispés… Par leur étonnant état de conservation et l’aspect effrayant de leur expression, certaines dépouilles pharaoniques ont rapidement été considérées comme «maudites». C’est le cas notamment du corps du pharaon Seqenenre-Taa (fin de la XVIIe dynastie, vers 1558-1554 av. J.-C.). Découverte en 1881 dans la cachette royale de Deir el-Bahari, la dépouille très abîmée montrait des impacts au niveau du front et de la base du crâne et de nombreuses blessures prouvant une mort violente. Une seconde momie dite «hurlante» fut retrouvée dans la même cachette, isolée des autres corps, enveloppée dans une simple peau de mouton (objet impur), la bouche grimaçante, tête en arrière, mains entravées… Selon les archives, il s’agirait du prince Pentaour, fils du pharaon Ramsès III, qui aurait participé à la «conspiration du harem» fomenté par la reine Tiyi, entraînant l’assassinat de son père… Qui a dit que les scénarios étaient à mourir de rire ?
Les fantômes, des présences d’esprits
Qu’ils soient noyés dans la guimauve dans Ghost, délirants ou grotesques façon Tim Burton, inquiétants dans Sixième Sens ou franchement maléfiques dans l’Exorciste ou Shining, les fantômes et esprits font partie de notre culture audiovisuelle après avoir nourri la littérature fantastique du XIXe siècle. Fantômes, spectres, ectoplasmes ou dames blanches… Autant de termes qui se recoupent en grande partie pour définir les mêmes entités : des défunts qui persistent à avoir un contact avec la communauté des vivants. «Ce sont des revenants, pas encore des disparus. On parle de disparus pour les morts ; eux n’ont pas droit à cette épithète, détaille Philippe Charlier, qui leur a consacré plusieurs ouvrages. Pourquoi ? Soit parce qu’ils demandent justice après une mort brutale, soit parce qu’ils veulent aider les vivants, les mettre dans le droit chemin ou ont un message à leur communiquer.»
Traqués depuis la fin du XVIIIe siècle par la science et l’occultisme, médiums, spirites et autres «chasseurs de fantômes» tentent de prouver leur existence – «jamais avérée, il n’y a aucune preuve physique quantifiable, mesurable et reproductible», tranche Philippe Charlier. Reste que leur omniprésence, à toutes les époques, et dans toutes les civilisations, ne peut laisser indifférent.
Comme toujours en matière de surnaturel, les explications sont multiples. Une symbolique, religieuse et psychanalytique : «La figure du fantôme a une vraie utilité sociale. Pour faire le deuil, dire au revoir au défunt… A condition, à un certain moment, de le laisser partir, sinon, on bascule dans la folie.» Scientifique ensuite, dans le cas des possessions ou transes, «quand des personnes semblent littéralement chevauchées par des esprits qui les dépassent et les transforment». Œdèmes, hypoxies, rêves hypnagogiques, psychoses, autoscopies ou décorporations diverses, la médecine moderne sait désormais nommer les phénomènes hallucinatoires. «Il y a des cas documentés qui sont neurologiques. Après un accident vasculaire cérébral, une expérience de mort imminente, un traumatisme crânien, énumère Philippe Charlier. Oui, on a vu des individus qui se sont mis à parler une langue qu’ils pensaient ignorer, avoir des visions, des sensations nouvelles.» Dans ces cas, aucun doute, il est urgent de se tourner vers des spécialistes ! «If there’s something strange in your neighborhood, who you gonna call ? Ghostbusters !»