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Libération
La grande série de l'été (20/37)

Le jour où... Judit Polgár a maté Garry Kasparov

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Le 9 septembre 2002, à Moscou, la Hongroise remporte une partie d’échecs contre le numéro 1 mondial. En devenant la première femme à s’imposer face au Russe, qui a dominé son sujet durant quinze ans, elle prouve aux caciques de la discipline que le génie n’a pas de sexe.
publié le 8 août 2021 à 18h41

Lui, il grimace et, pour un peu, sa chemise bleu ciel semblerait virer au clair-obscur. Elle, elle ne se grise pas, le pied souvent replié sous son siège, battant la chamade, l’estomac cintré dans un blazer brun. Obscur témoin de la scène : ce juge cravaté, un rien hagard dans un lieu froid aux allures de hangar, qui jette un œil fonctionnarisé aux débats. Anonymat relatif d’un tournoi joué en partie rapide (vingt-cinq minutes, plus dix secondes par coups), à Moscou. Puis tout s’agite. Des pontes en costards gris se rapprochent du jeu. Façon chacals, humant le momentum. Il a les noirs ; hoche la tête, sa confiance fissurée par une défense inhabituelle (1). Elle a les blancs ; domine le centre de l’échiquier, ses tours à l’offensive. La voie sans issue se précise. Le voici acculé, deux pions de retard. Arrive le 42e coup. Il tend ce qu’il déteste le plus. Sa main droite. Abandonne, attrape sa veste, s’esquive. Elle ne s’abandonne pas. Juste un sourire. Elle a tant connu les mâles, les mufles, les «méchants», comme elle a pu dire, qui l’ont ignorée, snobée, dédaignée.

Lui, c’est Garry Kasparov, Russe exilé et refuznik ad vitam æternam, jadis impavide empereur des échecs. Gourou finissant de la planète des 64 cases, il vient pourtant ce jour-là de jeter l’éponge. Elle, c’est Judit Polgár, hongroise, la seule à s’être immiscée dans le royaume des mâl