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Libération
Les livres inachevés (2/6)

Kafka, est-ce-que publier, c’est tromper ?

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«Libé» feuillette les livres abandonnés sur l’établi. Aujourd’hui, les derniers écrits de l’écrivain tchèque, édités après sa mort contre sa volonté.
Dans ses carnets, Kafka disait : «Ecrire est une sorte de prière.» Et Max Brod l’a entendu, a sauvé la prière des flammes. (Photomontage Marcus Moller Bitsch/Libération)
publié le 18 juillet 2021 à 19h50

Brûler tout ce qu’il reste, les manuscrits, les lettres, les articles. «Je te demande de le faire le plus rapidement possible», écrit Franz Kafka, rongé par la tuberculose, à son ami Max Brod. Le duo se forme à la fac de droit, à Prague. Brod, écrivain confirmé, prend Kafka sous son aile, et l’encourage à publier. C’est un mentor, un confident, un frère. Un traître aussi. Parce qu’à la mort de Kafka, en 1924, Max Brod ne brûle rien, rien du tout. Pire, il publie rapidement trois ouvrages inachevés qu’il complète et modifie, soit le Procès (1925), le Château (1926) et l’Amérique (1927), qui assureront à Kafka une notoriété qu’il n’a jamais connue de son vivant.

Succès d’estime

Brod considérait son camarade comme un génie. «Je n’ai jamais jeté le moindre bout de papier signé de sa main, non, même pas une carte postale», disait-il. En 1939, quand l’armée allemande envahit les provinces tchèques de Bohème et de Moravie, Brod fourre en hâte les bouts de papier signés Kafka dans une valise et, quelques minutes avant la fermeture de la frontière tchéco-polonaise, parvient à fuir et gagner Tel-Aviv. Ses affaires personnelles ne lui parviendront que bien après, par voie postale.

En Israël, les livres de Brod connaissent un succès d’estime, dans l’ombre de Kafka et de la fameuse valise qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Le Tchèque décide de léguer son contenu à sa secrétaire, Esther Hoffe, qui a pour mission de les confier ensuite à des archives publiques en I