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Libération
Livret de famille (3/12)

Prénom de nom : «Les gens voulaient de la fantaisie… Alors, on s’est mis à tout accepter»

Des histoires de familles et d’identité. Aujourd’hui, le témoignage de Marcelle 99 ans, autrefois chargée d’état civil des nouveaux terriens.
(Michel GILE/Gamma-Rapho via Getty Images)
publié le 20 juillet 2021 à 9h22

«J’ai été embauchée comme secrétaire de mairie en 1942, à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne). Je m’occupais de l’état civil et des élections. Tout à fait au début, les gens donnaient des prénoms du calendrier républicain. C’était comme ça, personne n’avait idée d’appeler son enfant Eglantine ou je ne sais comment. Et puis, les choses ont changé, les gens se sont mis à vouloir de la fantaisie. Un jour, un homme se présente, il voulait appeler son enfant Renault. Pas Renaud avec un d, il voulait l’écrire comme la marque de voiture. Il était concessionnaire auto. J’ai bien entendu refusé. Cet homme a fait une scène pas possible, fonçant dans le bureau de monsieur le maire. Grande discussion, des voix qui s’élèvent. Branle-bas de combat. Monsieur le maire m’appelle et m’envoie, conduite par le chauffeur de la mairie… à Montauban. Je devais aller devant le procureur de la République ! Le parquet a refusé que l’enfant soit nommé Renault, le concessionnaire a dû capituler. Quelle histoire…

Quelque temps après, nous avons reçu une circulaire du ministère [12 avril 1966, ndlr] nous demandant d’accepter des prénoms qui n’étaient pas dans le calendrier. Les gens voulaient de la fantaisie… Alors, on s’est mis à tout accepter. Par exemple, Michèle, avec un seul l. Jamais jusqu’ici, nous aurions accepté cette orthographe. Cela s’était toujours écrit Michelle avec deux l, comme Marcelle. Enfin, à Castelsarrasin, les gens sont quand même attachés à la tradition. Ce n’est pas comme dans les grandes villes où l’on cherche la nouveauté. Les gens avaient l’habitude aussi de donner un deuxième prénom. Tiens, j’ai une petite histoire aussi sur cela. Tout le monde m’appelle Marcelle, mais sur le registre de l’état civil, je me prénomme Jeanne. Marcelle, c’est mon deuxième prénom. Seulement, c’est source de confusion. Au Crédit agricole, je suis Marcelle, et sur la carte d’identité Jeanne. A la mairie, j’en ai vu beaucoup des comme moi : il fallait établir un acte de notoriété, en présence de deux témoins pour sortir de là. C’est ainsi qu’avec mon mari, nous avons décidé que nos enfants n’auraient qu’un seul prénom.»