La forêt de Sherwood, le maquis corse, la forêt du Marsupilami… Retrouvez tous les épisodes de «Promenons-nous dans les bois»
Promenons-nous dans les bois, pendant que le prince Jean n’y est pas. De Sherwood, j’avais le souvenir sympathique et enfantin d’une forêt joyeuse, refuge de Robin des bois le renard et de ses amis, le blaireau Frère Tuck et l’ours Petit Jean. Ils affrontaient avec succès l’infâme loup, le shérif de Nottingham et surtout le lion couard, le prince Jean, usurpateur du trône, symbole du mauvais roi par excellence, celui qui prend aux pauvres pour donner aux riches. Que n’aurais-je pas donné pour vivre avec eux, dans cette sorte de petit paradis vert, cette utopie où régnaient l’entraide et la fête autour du Major Oak, un chêne millénaire, cachette historique de tous ces brigands. On aurait chanté : «Il veut qu’on l’appelle “Jean le Preux” / Mais il ne sera que “Jean l’Affreux” / Messire le roi de mauvais aloi. / Je trouve plaisant cet endroit.»
Mais le dessin animé de Walt Disney ou le film avec Errol Flynn ne m’avaient pas expliqué que Sherwood était la mère de toutes les ZAD. Et pas seulement celle du voleur au grand cœur. En 1811-12, ce maquis anglais aux environ de Nottingham accueillit les luddites, des artisans tondeurs et tricoteurs qui s’en prenaient violemment aux manufacturiers qu’ils accusaient de les priver de travail avec leurs métiers à tisser modernes. Leur nom vient de Ned Ludd, un ouvrier légendaire qui aurait détruit des machines dans les années 1780. Les Camille de l’époque.
Ici, on interrogea pour l’une des premières fois la notion de progrès. On remit en cause, avant même sa naissance, les idées de Schumpeter sur la destruction créatrice. Et on perdit la vie pour ça. Dans des escarmouches contre les forces de l’ordre, ou pendu pour «bris de machine». Le gouvernement britannique avait précocement choisi son camp, que tous les régimes libéraux ont adopté depuis : celui de la technique contre l’humain. Pas étonnant que, lorsque fut émise l’idée d’y forer du gaz de schiste dans les années 2010, la population locale se mobilisa : cette forêt a une âme de résistante. Un jour, de ces bois originels partira peut-être la grande révolte pour un monde plus vert et moins technologique.