La corde bleue du filet dessine une grande lettre «J» à la surface de l’eau. A vol d’oiseau, Tours est à deux kilomètres. Mais dans ce bras de la Loire, cerné par les touffes vertes des saules argentés et des peupliers noirs qui colonisent les berges, on mesure toute la dimension sauvage du fleuve. Sur le Liberty Ship, une barque de type hollandais, Thierry Bouvet approche la bouée signalant l’emplacement de son premier filet et sort petit à petit l’engin de pêche de l’eau. Très vite, une première prise affleure. Une perche aux nageoires orangées s’agite entre les mailles. Le pêcheur professionnel la place dans le vivier du bateau. Puis c’est un gardon qui fait son apparition, inerte, dans les fils de nylon entremêlés.
«Lui a dû s’épuiser toute la nuit. Il est un peu esquinté», constate le capitaine, dans sa cotte à bretelles jaune. Impossible de le valoriser tel quel. Mais ce n’est pas grave. Le spécimen finira en garum, un élixir de poisson que Thierry Bouvet a remis au goût du jour. L’origine de ce jus, parent du nuoc-mâm vietnamien, remonte à l’Antiquité. Elaboré à partir de viscères de poissons et de sel, il constituait chez les Romains une sorte de condiment universel. Sous l’appellation «liquamen», il apparaît par exemple dans plusieurs recettes du traité de cuisine d’Apicius, célèbre gastronome sous Tibère.
Lorsque Thierry Bouvet s’installe comme pêcheur dans le petit port de Rochecorbon, en 2014, c’est avec l’objectif d’en élaborer une version lig