Espace de débats pour interroger les changements du monde, «le Procès du siècle» se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. Libération, partenaire de l’événement, proposera jusqu’en mars articles, interviews et tribunes sur les sujets abordés. Thème de ce lundi 14 février : «Courage fuyons ! La planète est inhabitable : allons-nous vivre dans le virtuel ?» Informations sur le site du musée.
Thibault Viort a une formation d’ingénieur. Il est actuellement entrepreneur dans le «Web 3», version d’Internet basée sur la blockchain, technologie en œuvre derrière de nombreuses cryptomonnaies. Il a son actif la création de plusieurs sociétés de jeux vidéo. Depuis plus d’un an, il s’intéresse au métavers – terme utilisé pour décrire une future version d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés seront accessibles via la 3D. Ce qui le fascine le plus dans cet univers, c’est de comprendre l’accès à la culture. Il essaie de mesurer de ce qu’il présente comme une «tendance de fond» afin d’évaluer quels vont être les bons usages de ces nouvelles technologies.
Décryptage
Selon Thibault Viort, «le métavers, c’est la prolongation d’expériences que l’on a eues sur Internet comme Second Life, Animal Crossing ou Fortnite, jeux qui permettent d’inventer des personnages. On y trouve un peu la synthèse de tout d’un point de vue technologique : un hardware de qualité, la capacité de calcul dans le cloud, le casque, la 5G. Tout cela permet de transporter l’information rapidement. Le monde de la 3D peut ainsi s’exprimer pour créer des univers immersifs de qualité. On va avoir une expérience proche du réel».
Et l’entrepreneur de poursuivre : «Désormais, on a des avatars très fluides. On va se retrouver avec un deuxième soi dans ces différents mondes. Ils vont prendre plein de formes variées. On pourra avoir ainsi un avatar avec trois bras, se représenter d’une nouvelle manière, exprimer des sentiments positifs.» Il sera ainsi loisible de «se rendre plus sympathique qu’on est, ou au contraire plus violent. Il sera possible de créer un personnage très noir, très dur. Ce sera donc une nouvelle représentation de nous-mêmes, et cela se passera dans des villes virtuelles. Il y aura de nouvelles histoires et des interactions sociales plus collaboratives, guerrières. Ce sont des questions ouvertes de ce monde qui arrive. L’expérience montre que quand on a ces entrées dans le monde virtuel, on se sent plus confiant, on s’exprime différemment, et cela fait du bien. Bien entendu, il y a des effets négatifs, tout de même, notamment la dépendance et l’addiction. On se retrouve également avec des problèmes oculaires, de la fatigue visuelle et gestuelle. On est confrontés au risque de cybersécurité, où on récupère les données de votre comportement».
«Ces outils vont permettre de mettre en œuvre d’autres relations»
Thibault Viort veut voir dans ce «grand mouvement qu’on a en face de nous», une évolution, une synthèse du monde de la 3D et de la technologie, avec des éléments uniques numérisés. Il explique qu’on se trouve à un tournant, un peu comme en 1995 face à Internet. Et il interroge : «Comment cela va-t-il atterrir ? Il faudra créer des emplois pour écrire ces mondes-là, inventer de nouveaux usages qu’on ne connaît pas, réaliser des projets dans la formation, trouver de nouvelles manières d’apprendre dans un univers totalement à découvrir.» Et il prédit que le rapport aux marques sera différent, avec un «monde immersif» très bien défini. «On va tous s’exprimer… ou pas. Et développer quelque chose de nouveau. C’est un moment d’humanité très important. La valeur morale là-dedans, ce sera à chacun de nous de la définir.»
Selon lui, pour quelque 300 euros, il y aura la possibilité d’avoir cette technologie partout, dans la rue, chez soi. «L’interaction sociale avec les gens à distance, la prise en main sont d’une immense facilité. Il y aura des interfaces à inventer. Le refus – ou non – de rentrer dans ce monde virtuel consistera en une véritable position politique et philosophique. Je ne fais pas l’apologie de ce monde-là. Il existe. Il faut juste se positionner par rapport à lui.» On ne peut s’empêcher alors de penser au très réussi Ready Player One de Steven Spielberg.
Pour le reste, Thibault Viort ne voit pas de «risque d’isolement» dans ces nouvelles pratiques, plutôt une autre forme d’interaction. «On va se retrouver à communiquer avec plus de monde qu’aujourd’hui. Un tas de gens apprennent à parler anglais avec Fortnite, ils communiquent à l’autre bout de la planète, et cela n’empêche pas la rencontre physique. Ces outils vont permettre de mettre en œuvre d’autres relations. Le moment où j’ai compris ce monde du métavers, c’est en visitant le musée Guggenheim de New York en étant à Paris. Finalement, c’est une nouvelle approche de la culture passionnante ! En outre, elle sera accessible pour tout le monde.»