Sous les huées, le manteau taché de jets de peinture, Raphaël Glucksmann s’éloigne du cortège du 1er Mai. La tête de liste du PS et de Place publique aux européennes a été prise à partie par quelques dizaines de militants ce mercredi 1er mai à Saint-Etienne (Loire). Il a dû être exfiltré du rassemblement qu’il voulait rejoindre sous les cris de «Palestine vivra» ou «Glucksmann casse-toi».
Reportage
«Ce qui est sûr, c’est qu’il y avait des drapeaux de partis politiques. Il y avait des drapeaux de Révolution permanente [un mouvement trotskiste, ndlr] et de la France insoumise», a-t-il affirmé juste après l’incident, auquel les mis en cause contestent avoir participé. «Ces attaques sont le résultat de mois de haine et de calomnies savamment orchestrées par les insoumis et d’autres», a-t-il ensuite dénoncé sur X, alors qu’il prenait soin d’ignorer les coups qui pleuvent sur lui depuis des semaines. Faisant état de «messages de haine reçus par milliers – très souvent à connotation antisémite» –, l’essayiste a déploré une agression «symptomatique de la brutalisation de la vie publique dans notre pays ces derniers temps», des «méthodes écœurantes et dangereuses pour la démocratie». Un «climat de violence» selon lui «entretenu par des politiques reconvertis en ingénieurs du chaos», référence au livre de Giuliano da Empoli, qui décortique la montée des populismes.
Les condamnations politiques n’ont pas tardé. «Tous les diviseurs jouent contre leur camp et montrent qu’ils partagent la même conception du débat que ceux qui le musellent à coups d’interdictions», a déploré Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS. Son homologue communiste, Fabien Roussel, a pour sa part affirmé que «rien ne justifie que Raphaël Glucksmann ait été exclu», quand le Premier ministre, Gabriel Attal, a rappelé que «la politique, ça peut être parfois un combat au sens noble du terme, mais ça doit toujours se faire dans le respect de l’intégrité des personnes».
Position classique de la gauche
Jean-Luc Mélenchon a également réagi, affirmant «désapprouver totalement» cette expulsion, tout en attaquant : «Cette action fournit […] un rôle de victime à Glucksmann qui en profite pour nous accuser.» Un peu plus tard, le leader insoumis a ajouté : «Raphaël Glucksmann, excusez-vous ! Vous avez accusé LFI de votre expulsion de la manif du 1er Mai. Nous avons récusé. Vous et vos chefs du PS ont continué sur la base de vos accusations. Les JC du 42 ont revendiqué cette action.» Le compte twitter des jeunes communistes de la Loire a en effet publié la photo d’une banderole «Glucksmann dégage JC 42», malgré les condamnations des instances nationales.
L’entourage de Glucksmann tient cependant la galaxie insoumise pour responsable. «Ce n’est pas surprenant, compte tenu de la campagne de mensonges et de calomnies orchestrées par LFI sur les positions de Raphaël sur Gaza», dénonce un collaborateur. Depuis le début de la campagne, les insoumis ciblent l’eurodéputé, l’accusant d’un deux poids deux mesures entre la guerre en Ukraine et à Gaza. La tête de liste socialiste s’inscrit pourtant dans la position classique de la gauche : condamnation du massacre à Gaza, appel à la libération des otages, défense de la solution à deux Etats. Contrairement aux insoumis, il refuse le terme de «génocide», qui fait débat dans le droit international, préférant parler de «carnage». «Leurs attaques ne prennent pas, les gens voient bien que le deux poids deux mesures, il est du côté des insoumis, contre-attaquait un proche il y a quelques jours, évoquant le communiqué publié par LFI juste après l’attaque terroriste du 7 octobre, qui évoquait une «offensive armée de forces palestiniennes». «Sur Gaza, Glucksmann a été cohérent du début jusqu’à la fin, poursuivait le même. Il se refuse à parler de génocide, parce qu’il a travaillé sur le Rwanda, ça l’a marqué, il sait ce que c’est, il a vu des charniers de ses propres yeux.»
«Je sens que certains veulent m’attaquer sur mes origines», confiait en janvier le fils du philosophe André Glucksmann, orphelin de la Shoah. A mesure qu’il grimpait dans les sondages, désormais quelques points derrière Valérie Hayer, la candidate Renaissance, les attaques se sont étendues, notamment à ses années en Géorgie. Entre 2000 et 2012, l’essayiste a été «conseiller spécial» du président géorgien Mikhaïl Saakachvili, condamné pour «abus de pouvoir» et considéré comme un «prisonnier politique» par le Conseil de l’Europe. «Glucksmann était salarié d’un mini-dictateur», attaquait ainsi un député insoumis il y a quelques jours.
Un signe de fébrilité
Au fil des jours, le climat entre socialistes et insoumis est devenu de plus en plus tendu. Mi-avril, après l’interdiction d’une conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan sur la Palestine à l’université de Lille, l’ex-candidat à la présidentielle avait déjà ciblé le député Jérôme Guedj, après que ce dernier a pointé le logo de l’association à l’origine de l’événement. «Ça veut dire quoi de l’avenir d’Israël ?» avait interrogé le socialiste à propos de cette carte qui ne délimitait pas la Cisjordanie, Gaza et Israël, sans pour autant appeler à une annulation de la conférence. Mélenchon, qui a formé le jeune socialiste dans l’Essonne et partagé une vie politique avec lui, avait alors dépeint «un lâche de cette variété humaine que l’on connaît tous, les délateurs, ceux qui aiment aller susurrer à l’oreille du maître».
Les socialistes veulent voir dans cette violence le signe de la fébrilité de leurs anciens alliés, qui plafonnent à 7 % dans les sondages. Un insoumis évacue : «Je l’ai toujours dit aux partenaires de la Nupes : si on ne fait pas campagne ensemble, je vous défonce, c’est comme ça, c’est pas la zone coréenne démilitarisée».