La gauche peut-elle se relever ? Deux ans après l’uppercut du 21 avril 2002 et l’élimination au premier tour de Lionel Jospin, les socialistes veulent remonter en selle. Une question d’honneur et de survie pour le parti au poing et la rose, qui compte bien profiter de l’impopularité de la majorité en place pour se relancer en vue de la présidentielle de 2007. Les régionales de 2004 doivent donc être «la première étape de la reconquête», lance François Hollande, toujours premier secrétaire du Parti socialiste, en janvier. «Les régionales, c’est une étape décisive pour la suite, assurait déjà l’élu de Corrèze en décembre 2003, à Libé. C’est donc ma seule préoccupation, le matin comme le soir.» D’où l’intérêt pour les socialistes de nationaliser un scrutin pourtant local. L’objectif ? Démontrer par les urnes que l’alternance peut commencer dès 2004, sans attendre les prochaines élections nationales. Et rappeler à la droite que la victoire à 82% de son candidat deux ans plus tôt face à Jean-Marie Le Pen doit beaucoup à l’électorat de gauche.
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La majorité au pouvoir, elle, joue la carte inverse. Elle dépolitise autant que possible le scrutin, «local et intermédiaire», répètent à qui veut l’entendre les conseillers de l’Elysée. Reste que pour l’UMP, ce « grand parti de la droite et du centre » voulu par Chirac en 2002, le rendez-vous électoral a valeur de test. D’abord parce que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, luttant sans succès contre la hausse du chômage, est impopulaire. En sous-main, se joue également la succession de Chirac. A ce petit jeu, alors que l’image présidentielle brûle – le «supermenteur» des Guignols –, la chiraquie regarde ailleurs. Les fidèles du Président font alors tout pour éviter qu’un jeune ministre ambitieux, Nicolas Sarkozy, rafle la présidence du parti. Le scrutin de mars est donc bien loin des seuls enjeux locaux. Les états-majors politiques ne s’y trompent d’ailleurs pas : pas moins d’une vingtaine de ministres se portent candidats. Car, en plus de jouer sa crédibilité sur la scène nationale, la droite entend bien conserver ses 14 régions métropolitaines (sur 22 à l’époque) dans lesquelles elle est aux manettes depuis 1998.
«Au revoir Président !»
«Sale tour pour Raffarin», titre Libé, le lendemain du premier tour, le 21 mars. Première claque pour la droite. La gauche vire en tête avec près de 40 % des voix, contre 34 % pour la majorité. La déroute est sévère. Les poids lourds envoyés au front sont tous battus : Xavier Darcos en Nouvelle-Aquitaine, François Fillon dans les Pays-de-la-Loire, Gérard Longuet en Lorraine, Antoine Rufenacht en Haute-Normandie, Jean-François Copé en Ile-de-France… Même Valéry Giscard d’Estaing est battu dans son fief auvergnat, pourtant historiquement ancré à gauche. «Au revoir Président !» chantent les jeunes militants socialistes. Seules l’Alsace et la Corse sont «sauvées» par la droite. La relation de plus en plus tendue avec les centristes de l’UDF n’a probablement pas favorisé la majorité. Candidat battu en Aquitaine, François Bayrou a déjà les yeux rivés vers l’Elysée, après un premier échec en 2002. Il défend son émancipation vis-à-vis de la maison UMP, lui qui n’a jamais vraiment cru au parti unique réunissant les familles de la droite.
Les socialistes, de leurs côtés, jubilent. «Pas encore une victoire, mais déjà un espoir», souffle Laurent Fabius le soir du premier tour. «C’est un avertissement sérieux au gouvernement», pose un Jack Lang plus mesuré. La stratégie d’alliance à géométrie variable avec les Verts et les communistes de Robert Hue, selon les régions et les rapports de force, a produit ses effets. Les souvenirs de la «gauche plurielle» de Jospin rejaillissent. Rue de Solférino, au siège du PS, le premier secrétaire reste prudent. D’autant plus que dans plusieurs régions, le second tour dépendra du Front national, arrivé troisième au premier tour, avec 14 % des voix. Le parti de Jean-Marie Le Pen, lui-même candidat en Provence-Alpes-Côte d’Azur, impose 17 triangulaires. Un rôle d’arbitre pour la formation d’extrême droite, qui avait déjà joué le rôle de trouble-fête six ans plus tôt, en apportant ses voix à des candidats UDF. Comme en Poitou-Charentes, où un candidat FN s’interpose dans le duel entre la sortante Elisabeth Morin-Chartier – qui a pris la suite de Jean-Pierre Raffarin en 2002 lorsque ce dernier a été appelé par Jacques Chirac à Matignon – et une ministre bientôt sous la lumière des projecteurs, Ségolène Royal.
«Un 21 avril à l’envers»
28 mars. Soirée du deuxième tour. Deuxième gifle pour la droite. En une de Libé, un Chirac regard baissé, et une sentence : «Le début de la fin». La gauche remporte alors 20 régions. Une «vague rose», lit-on un peu partout. «Un 21 avril à l’envers», lâche François Fillon. Un vote sanction (pour la majorité) couplé à un vote utile (l’alternance à gauche) analysent alors les observateurs. Signe que la page de 2002 a été tournée ? «C’est le début du cycle des remords, estime aujourd’hui Jean-Christophe Cambadélis. Cette victoire est apparue trop tôt. Le PS n’avait pas encore analysé les raisons de sa défaite, ni fait d’introspection profonde. Et s’installe déjà dans une logique d’alternance, perçue par les socialistes comme mécanique.» A l’image du premier secrétaire qui, depuis Solférino le soir du deuxième tour, lance : «Les Français ont adressé une lourde sanction à l’égard de l’ensemble du gouvernement. Ils ont rejeté une politique qui, depuis deux ans, accentue les inégalités et méprise les plus faibles.» Et les caciques socialistes de clamer en chœur que le temps d’une nouvelle politique est venu. En Poitou-Charentes, une femme incarne cet esprit de reconquête : Ségolène Royal.
En réalisant le meilleur score du PS au premier tour, dans une région tenue par la droite depuis dix-huit ans et fief du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, l’ancienne ministre acquiert, à 51 ans, une nouvelle image. Et un surnom, la «Zapatera», clin d’œil à José Luis Rodríguez Zapatero, 43 ans et élu chef du gouvernement espagnol, en mars de la même année. Tout un symbole pour celle qui avait été parachutée dans les Deux-Sèvres en 1998 par François Mitterrand, plusieurs fois ministre mais jusqu’alors discrète figure de l’appareil socialiste. «Ils m’ont prise pour une pomme dont ils n’allaient faire qu’une bouchée !» lance-t-elle quelques jours après sa victoire à destination des ministres ayant défilé dans la région pendant la campagne. Cette nouvelle stature lui offre sa place dans le camp des «présidentiables» à gauche. «C’est clair : elle s’installe, raconte aujourd’hui un vieux routier du PS. Elle a déjà cette idée en tête. Et va utiliser sa région comme un élément de force.» Une rampe de lancement qui lui mènera à la victoire de la primaire du parti en 2006, et au second tour de la présidentielle l’année suivante. Coup double.