Caban beige sur le dos, Karim Bouamrane pénètre enfin sur la pelouse du stade Bauer de Saint-Ouen. Il est 19h30. Le gratin de la social-démocratie, installé dans la grande tribune de l’enceinte du Red Star s’impatientait presque. Dans les travées, on aperçoit l’ancien président du département de la Seine-Saint-Denis, le socialiste Claude Bartolone, papoter avec l’ancien premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis. La présidente de la région Occitanie, Carole Delga, fait une bise à l’actuel chef du PS, Olivier Faure, mettant de côté quelques instants leurs mauvaises relations. Certains (anciens ?) macronistes sont là aussi, comme l’ex-députée Laetitia Avia, Eduardo Rihan Cypel (qui était avant au PS) ou l’ex-ministre des Transports Clément Beaune. Un peu en retard, François Hollande rejoint tout ce beau monde. L’ex-chef de l’Etat a d’ailleurs droit à une place de choix : le siège à gauche de l’hôte du jour très applaudi à son arrivée. Encore plus à la bourre, Raphaël Glucksmann est venu boucler le casting pendant les premières prises de parole.
Profil
Après Bram (Aude) le week-end dernier autour de Carole Delga et à deux jours de la rentrée politique de Raphaël Glucksmann à la Réole (Gironde), la gauche sociale-démocrate s’est donc réunie ce jeudi 3 octobre en Seine-Saint-Denis, à l’invitation du maire de Saint-Ouen. «C’est une trilogie de séquences différentes mais complémentaires», note le président du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner. Après avoir percé le mur du son durant l’été à la faveur des Jeux olympiques – au point d’avoir vu son nom cité pour Matignon –, Karim Bouamrane lance son mouvement La France humaine et forte dans le stade de sa ville conquise en 2020. Avant d’aller écouter le héros du jour, le public, particulièrement divers, a donc la possibilité de se rafraîchir dans les buvettes ouvertes. Ou de grignoter quelques crêpes tartinées de la désormais célèbre pâte algérienne El Mordjene, aujourd’hui introuvable dans le commerce. 3 800 personnes sont venues garnir les gradins selon les organisateurs.
«Gauche du réel»
Monté sur une scène installée sur la pelouse au son de Soul Power de James Brown, l’ancien disciple de Cambadélis invite ses camarades à «incarner ensemble une force inarrêtable» pour porter la gauche au pouvoir en 2027. «Chers amis, il est temps de nous unir, de nous rassembler, pour organiser ensemble nos idées, la France doit être humaine et forte», scande-t-il, alors qu’une nouvelle chapelle sociale-démocrate naît tous les quinze jours. Bouamrane dit incarner «une gauche du réel qui assume de ne pas être dans l’incantation» et qui «rejette la démagogie et le populisme». Deux allusions à la ligne attribuée à La France insoumise. Ce jeudi soir à Saint-Ouen, tous les socialistes présents – excepté Olivier Faure, venu par «amitié» – appellent à rompre avec le mouvement mélenchoniste. «On ne peut pas avoir fait quatre mois de campagne derrière Raphaël Glucksmann pour se remettre ensuite derrière le leadership de Jean-Luc Mélenchon», grince Patrick Kanner.
Dénonçant les propos du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, sur l’immigration qui ne serait «pas une chance», Karim Bouamrane estime face à la tribune que «le gouvernement de Michel Barnier ne tiendra pas». L’occasion de revenir sur le feuilleton de l’été à propos de la nomination du Premier ministre. Le maire de Saint-Ouen affirme que la gauche n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour qu’un membre de son camp soit nommé à Matignon. «Nous aurions dû tout mettre en œuvre pour être en responsabilité. Pour cela, il aurait fallu rompre avec la posture du programme, rien que le programme», lance-t-il. «Etre dans le réel, c’est être capable de compromis, c’est incarner l’action concrète», ajoute-t-il. Nouvelle pique contre le tribun insoumis.
«Il n’y a pas de rivalité mais de la synergie»
Sur le fond, l’Audonien propose de mettre en place une série de «progrès partagés» sur l’ensemble des thématiques de la vie quotidienne. Bouamrane appelle ainsi la gauche à «se réapproprier les questions de sécurité car les premières victimes de l’insécurité sont les classes populaires et les classes moyennes», à «lutter contre les déserts médicaux en innovant», à «se battre en faveur de la mixité sociale» ou à «rendre beau l’espace public». Autant de combats qui permettraient, selon lui, à la gauche «d’incarner» un espoir pour les Français. «Nous sommes l’espoir d’une relation responsable et respectueuse entre ceux qui confient le pouvoir et ceux qui l’exercent en leur nom», scande-t-il.
La suite maintenant pour Karim Bouamrane consiste à créer des comités de liaisons sur tout le territoire «pour mobiliser tous les gens qui veulent être utiles». Interrogé par la presse, le maire de Saint-Ouen assure que cette «aventure collective» est complémentaire avec le Parti socialiste. Celui qui a ponctué son discours par un classique «vive la République et vive la France» et par une Marseillaise lancée a capella refuse, pour l’heure, d’officialiser une quelconque ambition pour l’Elysée. «Celui qui se déclare aujourd’hui est inconscient et irresponsable», affirme-t-il. L’ancien chef d’entreprise récuse également toute potentielle concurrence entre les différents hérauts de la social-démocratie. Point de vue partagé avec l’eurodéputé Raphaël Glucksmann. «Il n’y a pas de rivalité mais de la synergie. La reconstruction va prendre du temps, nous aurons besoin de tout le monde», dit l’ancienne tête de liste du PS aux dernières européennes, heureux comme un gosse de se retrouver sur la pelouse du stade Bauer. Reste à voir si cet état d’esprit restera intact quand l’élection présidentielle approchera.