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A droite, la bataille du «revenu vital»

Revenu universel, la bonne idée ?dossier
Soutenue par le numéro 3 du parti, rejetée par beaucoup d’autres, l’idée d’un minimum à 715 euros remplaçant la plupart des aides existantes divise les tenants de l’aile «sociale» et les plus libéraux.
Bruno Retailleau et Aurélien Pradié à Paris, en décembre. (Denis Allard/Libération)
publié le 9 février 2021 à 13h14

Pour les plus démunis, des chèques alimentaires de 450 euros par trimestre. Pour les jeunes, 300 000 emplois aidés dans l’administration, les collectivités, les associations ou l’université. Pour les maires, le droit de réquisitionner des bâtiments publics vacants pour y développer le logement social. Qu’Aurélien Pradié ne craigne pas de bousculer sa droite, on en juge à ces mesures tirées du plan antipauvreté que le secrétaire général du parti Les Républicains (LR) doit présenter mercredi avec son collègue député de l’Aisne Julien Dive.

Et encore : le jeune élu du Lot en a rabattu sur ses ambitions. Dans ce plan désormais centré sur les «mesures d’urgence», il n’est plus question d’un autre outil dont il faisait récemment l’éloge : un «revenu vital» fixé, en première approche, à 40 % du revenu médian, soit 715 euros. Accessible à tous, substitué à la plupart des aides existantes, le dispositif était toutefois conditionné : il faudrait, disait Pradié dans l’Obs, avoir d’abord donné «deux mois de sa vie à l’utilité sociale» en travaillant pour une association ou une collectivité.

L’élu s’est finalement laissé convaincre de ne pas concentrer l’attention sur une mesure trop discutée à l’intérieur de son parti. A Libé, il dit «conserver la même conviction» mais vouloir lui laisser le temps d’être «adoptée sur le fond par [ses] amis». Il y fait deux amendements : «Le mot «revenu» n’est pas le bon, y compris à mes yeux. Et il faut sans doute une phase de test», qui verrait le dispositif réservé aux jeunes adultes, de 18 à 26 ans. «Les blocages idéologiques sont massifs, constate le numéro 3 de LR. Il me faut donc un peu de méthode.»

«Un truc infâme»

Si Pradié s’est efforcé de distinguer sa vision de celle de la gauche, les nuances n’ont pas sauté aux yeux de ses amis, gardiens vigilants de la «valeur travail». «Le revenu universel, c’est l’alliance des ultralibéraux et des rejetons du marxisme, théorise Julien Aubert, député du Vaucluse. Pour les premiers, la robotisation rend les gens toujours moins employables : on peut donc les payer à ne rien faire, pour qu’ils continuent de consommer. Les seconds ont une aversion profonde pour le travail, vu comme une aliénation. [L’envisager], c’est une défaite de la pensée et, sur le plan budgétaire, un truc infâme.»

Mêmes objections chez son collègue du Pas-de-Calais Daniel Fasquelle : «Le revenu universel, c’est ultralibéral ou ultragauchiste : en tout cas, pas quelque chose que peut porter la droite. Attention à ne pas perdre nos repères : la proposition d’augmenter le smic avait déjà été très mal reçue par les milieux économiques.» Pour l’élu, «les électeurs qui nous ont quittés pour Macron seront plus faciles à récupérer que ceux qui ont filé vers le RN. Tenir un discours attrape-tout serait une erreur stratégique : nous ne récupérerions ni les uns ni les autres».

«Un avis éclairé»

Le débat n’est pourtant pas clos : deux proches de Xavier Bertrand, les députés Julien Dive (Aisne) et Stéphane Viry (Vosges), travaillent eux aussi sur un projet de «revenu «seuil» avec contreparties». «Nous saurons faire converger ce travail avec celui d’Aurélien, promet Dive. J’ai moi-même bougé sur le sujet, donc en débattant au sein du parti, on peut avancer». Objectif : produire «au printemps un avis éclairé sur la question, annonce Viry. Si on considère que ce sera un débat de la présidentielle, autant cranter quelque chose.»

«Cranter» un certain nombre de principes est, pour deux courants de LR, la grande affaire des derniers mois. Les uns, comme l’ex-ministre du Budget Eric Woerth, en tiennent pour une ligne raisonnablement libérale, soucieuse des équilibres comptables. Ils veulent refaire de LR «le parti des gens sérieux» destiné à reconquérir une clientèle électorale détournée par Macron. D’autres, marqués par l’échec de François Fillon, attribué à la sévérité de son programme social, militent pour que la droite redevienne désirable aux yeux des classes moyennes et populaires, séduites par le RN ou tombées dans l’abstention. Hors de LR, le discours est tenu par le quasi-candidat Xavier Bertrand ; à l’intérieur, c’est celui, par exemple, d’un Pradié. Avec force références à la planification gaulliste et au Chirac de la «fracture sociale», le jeune élu s’efforce ainsi de démontrer qu’il s’agit d’un retour aux sources, et non d’un reniement.

Dans l’entourage du président de LR, Christian Jacob, on tente de relativiser la dispute : «Au début de l’UMP, c’était pareil. Les gaullistes trouvaient déjà que les libéraux prenaient beaucoup de place.» Il est vrai que, depuis, les murs se sont rapprochés.