Le village montagneux de la Plaine-des-Palmistes, au centre de l’île de la Réunion, a trois particularités : des platanes poussent au bord des routes, comme en métropole ; il y pleut un jour sur trois, ce qui a conduit à couvrir le boulodrome ; et c’est la seule commune de la Réunion à être dirigée par un maire du Rassemblement national. Suite à un tour de passe-passe.
Aux municipales de 2020, Johnny Payet avait été élu sous l’étiquette floue de divers droite. Quelques mois plus tard, le chef d’entreprise apportait son soutien à Marine Le Pen en vue de l’élection présidentielle et prenait sa carte au parti d’extrême droite. «Ce fut le pompon, s’emporte Josiane, sous son parapluie noir. J’ai été choquée, quand on voit la couleur de la peau des habitants de la Réunion !» Pour l’aide à domicile de 54 ans, qui dit «survivre avec un salaire de misère» – 38 % des habitants de la Plaine vivent sous le seuil de pauvreté –, le RN reste un «parti raciste».
Quelques mois plus tard encore, Johnny Payet invitait Marine Le Pen à la célébration de l’abolition de l’esclavage, le 20 décembre 2021. Un comble, puisqu’en 2024, l’élu reconnaissait ne pas fêter cette date. Il déclarait même à Libération qu’on ne pouvait juger l’esclavage, «un mode de vie qu’on n’a pas vécu». Ses propos avaient suscité l’indignation à la Réunion, jusqu’aux représentants locaux du RN.
Un «mangé cochon»
Malgré cette polémique, le sexagénaire compte bien se représenter aux municipales de mars 2026 sous les couleurs de Marine Le Pen. «J’ai dédiabolisé le RN à la Réunion, assure-t-il sans modestie, en étant le seul maire de l’île, voire de France, à réaliser l’entièreté de mon programme.» L’île présente un tableau politique contrasté : lors de la dernière élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon était arrivé en tête du premier tour avec plus de 40 % des voix ; au second, Marine Le Pen avait largement devancé Emmanuel Macron, avec près de 60 % des bulletins.
Johnny Payet, à la sortie d’un conseil municipal, ce 15 octobre, énumère ses réalisations sous la «farine» (pluie, en créole) et le brouillard qui tombent sur la commune de 7 000 habitants : construction d’une piscine, d’une médiathèque, de plusieurs ponts, réfection du stade de foot, pression sur le conseil départemental pour que la collectivité construise enfin un collège… «Nous avons investi plus de 50 millions d’euros, ça mérite des applaudissements !» conclut-il, sans craindre un rapport de la chambre régionale des comptes qui sera rendu public à la fin de l’année et qui pourrait pointer une situation financière dégradée.
En face, l’opposition tente le tout pour le tout. Deux anciens maires, longtemps ennemis jurés, Marco Boyer (divers droite) et Jean-Luc Saint-Lambert (PS), se sont alliés pour soutenir un ancien colistier de Johnny Payet, Frédéric Azor. Un «mangé cochon», dénonce en créole Julien, en train de fumer une clope à un snack, pour évoquer ce mariage de la carpe et du lapin. Enseignant à la retraite, Jean-Luc Saint-Lambert se justifie, sous sa moustache IIIe République : «Je n’ai pas viré mon paletot. Nous, on n’attend pas le deuxième tour pour faire le front républicain contre le RN.» De son côté, Frédéric Azor, veut «prendre les bonnes idées de la gauche et de la droite» et mettre fin «aux joutes verbales dignes d’un village de gaulois».
«Fin de règne»
Mais lors du conseil municipal, il peine à argumenter pour dénoncer la décision modificative du budget proposée par le maire. Sophie Arzal, vice-présidente du conseil départemental et également candidate (centre droit) au prochain scrutin, est plus mordante à propos de l’attribution de 690 000 euros aux dépenses du personnel : «C’est une manœuvre électoraliste financée par le contribuable !» Jean-Luc Saint-Lambert a beau y voir un «budget de fin de règne», Johnny Payet est convaincu d’être réélu dès le premier tour l’an prochain.
Lors des législatives de 2022, le candidat LFI l’avait certes emporté sur celui d’extrême droite dans la cinquième circonscription, mais à la Plaine-des-Palmistes, le RN avait fait 63 % des voix au second tour. Dans les rues pentues et humides de la commune, nombreux sont les habitants à soutenir effectivement le maire. Stéphanie, mère de trois enfants, espère créer un snack et compte sur le soutien de l’édile, qui «nous traite comme des gens normaux». La quadragénaire, couverte d’une longue veste en laine, estime que «les Réunionnais vont perdre leurs droits si on laisse les étrangers nous envahir». La commune connaît une forte poussée démographique depuis quelques années.
Antoine, 22 ans, effectue un stage rémunéré par la mission locale dans une quincaillerie. Ce jeune homme à la barbichette va également voter pour le maire sortant. La raison ? «Il nous a tous aidés lors du cyclone Garance, en février, au lieu de rester derrière son bureau à se gratter les couilles.» Johnny Payet, qui a dû laisser sa place en 2025 de délégué départemental du RN à un avocat de Saint-Denis, le chef-lieu, estime «avoir ouvert la voie». Il espère que son parti parviendra à aligner «une dizaine de candidats de qualité» dans les 24 communes du département d’outre-mer.