Destituer Emmanuel Macron, qui a refusé de nommer Lucie Castets à Matignon ? C’est le rêve des insoumis qui, à l’Assemblée, ont entamé cette incertaine procédure de destitution, encadrée par la Constitution. Leur démarche a franchi une première étape ce mardi 17 septembre, après la décision du bureau de juger recevable leur proposition de résolution. Salle des Quatre-Colonnes, la patronne du groupe LFI Mathilde Panot a le sourire : «C’est un événement inédit dans la Ve République qui vient de se produire […] Les membres du bureau ont considéré, à majorité, que le président de la République n’était plus le garant du bon fonctionnement des institutions républicaines et que donc le débat devait avoir lieu devant l’ensemble du peuple français.» Dans leur texte signé par 81 députés, les députés LFI renvoient à 1877 pour justifier une telle procédure. «En effet, il faut remonter à cette date pour qu’un président de la République, Edme-Patrice de Mac Mahon, prenne la décision de nommer un Premier ministre monarchiste contre l’avis d’une Assemblée nationale à majorité républicaine.» Du flan ?
Coup politique, la procédure a pu franchir cette première haie grâce à la composition du bureau, au sein duquel le Nouveau Front populaire est désormais majoritaire, avec 12 sièges sur 22. La question posée était simple : le bureau devait-il approuver cette proposition et l’envoyer en commission des Lois, deuxième étape de la démarche ? «C’est une zone grise», convenait dans la matinée un conseiller parlementaire. La gauche et les macronistes se sont opposés sur le rôle du bureau : doit-il ou non juger sur le fond, ou simplement permettre que le débat sur la destitution du Président ait lieu ? C’est cette deuxième option qu’ont approuvée lundi soir les socialistes : 32 députés ont voté pour la recevabilité, 28 contre. Opposés sur le fond à la destitution, les socialistes souhaitent que le débat ait lieu en commission. Leurs voix étaient cruciales au sein du bureau pour permettre de juger recevable le texte.
Pour Renaissance, «rien de nouveau sous le soleil de Caracas»
Au sein même du NFP, le sujet a fait débat. Chez les écologistes, les vues sont partagées. «Le débat doit avoir lieu», avance un conseiller du groupe. A l’intérieur du groupe de Cyrielle Chatelain, certains pensent que l’outil de la motion de censure est plus approprié qu’une incertaine procédure de destitution. Et qu’une censure est davantage dans l’esprit du parlementarisme. Une position défendue chez certains communistes, comme Stéphane Peu. «Nous avons voté en droit», assure l’élu de Seine-Saint-Denis, qui a permis lui aussi cette recevabilité. Mais le Dionysien de nuancer : «Dans cette période où les Français ont souhaité que le Parlement redevienne le centre de la vie politique, déporter le sujet à nouveau vers la présidentielle […] ne nous paraît pas le plus opportun.»
Dans les rangs de l’ex-majorité, la démarche fait tousser. Froissé par le résultats du vote, Yaël Braun-Pivet a dénoncé dans un communiqué «un détournement de la règle de droit». «Cette motion et ce débat [sont] une déclaration de guerre à nos institutions», a réagi l’ex-Premier ministre et désormais chef des députés Renaissance, Gabriel Attal, lors de la réunion du bureau, qualifiant les insoumis d’«agents de déstabilisation permanente». A la sortie, devant la presse, le vice-président (Ensemble pour la République) de l’Assemblée, Roland Lescure, a qualifié «de bonne guerre» le coup des mélenchonistes avant de cogner : «La France insoumise est contre les institutions. Elle contribue avec cette motion de destitution à continuer à ébranler nos institutions. C’est grave mais rien de nouveau sous le soleil de Caracas.» A droite, on s’étouffe également. Présent en tant que président de groupe, Laurent Wauquiez a évoqué un risque d’affaiblissement de la fonction présidentielle. Tout à sa stratégie d’apaisement parlementaire, le RN s’est également tenu à bonne distance de la procédure. «Cette manœuvre d’enfumage ne fera pas oublier aux Français que LFI a volé au secours de Macron en 2017, a récidivé en 2022 avant de négocier en juin 2024 des accords électoraux de désistement pour sauver leurs sièges», a dénoncé sur X Marine Le Pen.
Braun-Pivet agacée que personne ne se lève à son arrivée
Dans les salons de l’hôtel de Lassay, où se tenait ce mardi la réunion du bureau, l’échange entre la présidente, les vice-présidents, les questeurs et les secrétaires ont été «tendus», dixit Stéphane Peu : «Les macronistes n’ont pas l’habitude de ne pas être ultra majoritaire.» De fait, pour la première fois depuis 1958, le bureau n’est plus aux mains de la majorité. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est agacée d’entrée de jeu que personne ne se lève à son arrivée… «Elle est arrivée dans notre dos, personne ne l’a vue», évacue un député présent. Ce premier rendez-vous de rentrée parlementaire augure des échanges un brin musclés au sein de l’organe, où sont décidées l’ensemble des règles de fonctionnement de l’institution.
La procédure de destitution, elle, a peu de chances d’aboutir. Introduit par la révision constitutionnelle de 2008, l’article 68 de la Constitution prévoit que le président de la République peut être destitué «en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat». Cette formulation remplaçait alors celle de «haute trahison» héritée de la IIIe République. La prochaine étape à l’Assemblée est l’examen de la proposition en commission des Lois. Encore faut-il que ladite commission s’en saisisse… Son président, Florent Boudié (EPR), rappelle une décision du Conseil constitutionnel rendue en 2014, sur la loi organique relative à l’application de l’article 68 de la Constitution : «Le sujet est moins juridique que politique, mais il est vrai que le Conseil constitutionnel avait estimé que la commission n’avait pas l’obligation de conclure au rejet ou à l’adoption de la proposition de résolution, ou même de l’examiner.»
Si le texte était finalement examiné, il atterrirait ensuite dans l’hémicycle. A moins d’un nouveau blocage ? «Les macronistes essaient de trouver une parade pour que le texte n’aille pas en séance», veut croire un conseiller parlementaire au sein du NFP. Pour être débattue en séance, la proposition devra être inscrite à l’ordre du jour. Or la conférence des présidents, en charge de cet ordre du jour, pourrait mettre son veto… La proposition de résolution ne peut ensuite faire l’objet que d’une seule lecture entre les deux chambres. Son rejet par l’Assemblée ou le Sénat marquerait la fin immédiate de la procédure. Elle nécessite enfin les voix des deux tiers des parlementaires (députés et sénateurs) réunis en Haute-Cour. La dernière tentative de destitution d’un Président remonte à novembre 2016. A l’époque, les députés Les Républicains estimaient que François Hollande avait manqué «aux devoirs de sa charge» en divulguant à des journalistes des documents confidentiels, relatifs aux frappes en Syrie en 2013. La démarche n’avait pas dépassé l’étape du bureau du Palais-Bourbon.