Des ministres au banc plus nombreux que les députés de la majorité… Drôle d’ambiance, ce lundi 3 juin, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, où le gouvernement a affronté, sans aucun risque, deux motions de censure des oppositions. A six jours des élections européennes, les groupes LFI et RN ont défendu leurs copies pour protester contre les coupes budgétaires de l’exécutif et son refus de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative. Et ce alors que la France a subi, vendredi, une dégradation de sa note souveraine par l’agence Standard & Poor’s.
Sans surprise, la droite se refusant toujours à voter une autre motion que la sienne, celles du groupe de Mathilde Panot, puis de Marine Le Pen, ont été rejetées par les députés. Celle des Insoumis n’a recueilli que 222 voix ; celle du RN 89. Dans la dernière ligne droite avant le scrutin du 9 juin, l’hémicycle du Palais-Bourbon a surtout servi de tribune aux oppositions pour canonner le gouvernement. Les deux camps concèdent eux-mêmes que le coup n’est pas totalement désintéressé.
«Vous êtes le Premier ministre du chaos»
Le député LFI Matthias Tavel, directeur de campagne de Manon Aubry pour la campagne des européennes, avait ouvert le bal. «Ce n’est pas la France qui est en faillite, mais le macronisme», lance-t-il en début d’après-midi. «Le vote du budget est la raison d’être de notre Parlement depuis la Révolution», enchaîne-t-il, pointant la raison initiale du dépôt de la motion, et s’attaquant aux «prévisions budgétaires fantaisistes» du gouvernement. Réforme de l’assurance chômage, services publics, crise climatique, reconnaissance d’un Etat palestinien… Tout y passe. «Vous êtes le Premier ministre du chaos économique et industriel», «écologique», «diplomatique», assène Tavel. Et de prendre à partie Gabriel Attal : «Quel est votre programme caché pour après les européennes ?» «Et les droits d’auteur ?», renvoie le député RN Jean-Philippe Tanguy, faisant rire sa patronne, Marine Le Pen. Les oppositions, après la révision à la hausse du déficit public en 2024, accusent déjà le gouvernement de prévoir des hausses d’impôts ou d’autres mesures visant à limiter les dépenses, comme la désindexation des pensions de retraite de l’inflation, lors du prochain budget, débattu au Parlement à l’automne.
A son tour, à la tribune, le vice-président (RN) de l’Assemblée Sébastien Chenu s’en prend au gouvernement. Sans finesse : «J’ai face à moi l’équipe de France de la loose de l’économie.» Egratignant la «gestion lamentable des finances publiques», l’élu du Nord vise le ministre de l’Economie et des Finances : «Où est le sérieux ? Où est la compétence ?» Lunettes posées sur le pupitre, mains croisées, Bruno Le Maire écoute la harangue. «Vous n’avez rien sauvé du tout, vous avez persisté à nous endetter», charge Chenu. Voilà pour la façade parlementaire. Car la motion du RN (pas plus que celle de LFI) est surtout un coup politique. Le but ? Coincer Les Républicains, dont la liste conduite par François-Xavier Bellamy patine dans les sondages, autour de 7 %, en lui rabâchant son positionnement ambivalent à l’égard du macronisme. Et ce alors que les rumeurs de coalition avec le pouvoir en place ennuient (encore) la droite. «J’en appelle au courage politique et à la liberté politique de chaque député, à la fin du cynisme qui consiste à se présenter en opposant à Emmanuel Macron en circonscription et en lui sauvant ici la tête», plastronne Chenu. Qui ajoute : «Il n’y a plus d’excuses, plus de virgule mal placée. […] Ne transformez pas votre groupe en champ de béquilles de la macronie.»
«Chorégraphie bien huilée»
Les banderilles plantées, Gabriel Attal se charge de la réplique. Scène cocasse, juste avant son discours : le patron des députés LR, Olivier Marleix, s’apprête à lui griller la politesse, en montant à la tribune avant de regagner son siège et d’attendre son tour. Le RN se régale : «T’es pas encore Premier ministre !». Face aux députés, Attal dénonce une «chorégraphie bien huilée» entre «mélenchonistes» et «lepénistes» : «Ce n’est pas tant le gouvernement que vous tentez de faire tomber, c’est le Parlement. […] Il est désormais banal de voir la Nupes utiliser l’extrême droite comme une béquille pour bloquer le Parlement.» Usant lui aussi de sa tribune parlementaire, le chef du gouvernement teste quelques formules. Contre LFI : «Vous avez troqué la lutte des classes pour la lutte des taxes.» Contre l’extrême droite : «Avec vous, la dette aurait non seulement mais elle se compterait en écu puisque vous vouliez sortir de l’euro.» Sa voix est couverte par les oppositions.
Sommé d’expliquer les choix économiques de son gouvernement, Attal assure qu’«il n’y a pas eu une seule dépense de trop face aux crises, car elles ont permis de sauver l’économie et de protéger les Français». Et malgré la dégradation de sa note par l’agence S & P, «la France n’a aucune difficulté à se financer» certifie Attal. Le locataire de Matignon en profite pour vendre son bilan, un «taux de chômage au plus bas depuis quarante ans», la réindustrialisation, l’attractivité de l’hexagone pour les investissements étrangers ou «une baisse des émissions de CO2 historique» en 2023. «Cela ne vous plaît peut-être pas, conclut Attal, mais ce bilan est celui de notre majorité.» Un RN hurle : «C’est tellement bon que vous êtes à 16 % !» Une allusion à la difficile campagne de la tête de liste du camp présidentiel, Valérie Hayer.
Seul acteur de cette pantomime en mesure, avec ses troupes, de renverser le gouvernement, Olivier Marleix repeint les coups du RN et de LFI en «jeux, poisons et délices parlementaires» dont parlait de Gaulle en son temps. «Personne n’est dupe de la finalité des deux motions à quelques jours du scrutin», pointe l’élu d’Eure-et-Loir. Une motion LR, qu’il souhaiterait dégainer à l’automne, «ne serait pas un pétard mouillé», avertit Marleix, mais «ouvrirait une crise politique importante dans notre pays». «Cela nous conduit à agir avec gravité», argue le député LR, fixant sa «ligne rouge» : «Celle de ne pas faire payer aux Français la facture de vos sept années de laxisme.»
Torpiller le gouvernement tout en refusant de le censurer… Un positionnement ambigu pour la droite, sur lequel ne se prive pas d’appuyer le RN. «A la niche !», lance un élu lepéniste depuis son siège. Sur X, la patronne Marine Le Pen écrit : «Pas un mot du président du groupe LR contre le gouvernement et sa gestion désastreuse des finances publiques. En revanche, dix minutes contre le RN qui n’a aucune responsabilité dans la faillite du pays. Pour la 33e fois, LR sauve Emmanuel Macron. La fausse opposition en marche !»