Le schmilblick n’aura pas avancé d’un pouce. Toucher à la Constitution pour «arrêter l’immigration de masse» ? C’est le combat de la droite au Parlement, alors que le gouvernement y défend depuis début novembre un projet de loi visant à «contrôler» les entrées d’étrangers en France. L’exécutif s’y refuse, mais le groupe Les Républicains (LR) n’en démord pas. Jeudi 7 décembre, lors de sa «niche» parlementaire – une journée dédiée chaque mois à un groupe et durant laquelle il peut défendre les textes de son choix – le patron du parti, Eric Ciotti, a donc exposé le changement de «cadre juridique» que la droite appelle de ses vœux.
Coup purement tactique
Pour le député des Alpes-Maritimes, «le projet de loi du gouvernement ne permet pas à la France de retrouver sa souveraineté en matière d’immigration». D’où son mantra de réviser la loi fondamentale, notamment en élargissant son article 11 – qui restreint les thèmes du référendum à «l’organisation des pouvoirs politiques» et aux réformes économiques et sociales. La droite souhaite que les Français se prononcent sur «l’entrée au séjour des étrangers en France» et sur «le droit de la nationalité». La proposition de loi constitutionnelle entend également faire primer le droit national sur le droit européen dans certains cas. Sont également mentionnées la suppression du droit du sol à Mayotte, l’instauration de quotas migratoires ou l’inscription du principe d’assimilation dans la Constitution.
Le coup est purement tactique, Emmanuel Macron ayant déjà exprimé son refus d’une telle révision constitutionnelle. «Le gouvernement nous a déjà opposés une fin de non-recevoir», déplorait lui-même Eric Ciotti, mercredi, lors d’une conférence de presse au siège du parti. Dans l’hémicycle, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rouvert le tuyau de douche. «La promesse que vous faites», celle de modifier la Constitution, «pose un certain nombre de problèmes», a-t-il énoncé, parlant d’un risque de «Frexit» : «La proposition de M. Ciotti est valable. Mais il faut sortir de l’Europe. Il faut l’avouer.»
«Sirènes du populisme»
Au banc avec le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, Darmanin a surtout défendu son propre projet de loi, qui prévoit notamment le durcissement des critères d’expulsion des étrangers délinquants. Sur ce terrain-là, «la France n’est pas corsetée ou empêchée d’agir par des traités» internationaux ou par l’Union européenne, a plaidé le ministre de l’Intérieur. L’ancien porte-parole de Nicolas Sarkozy ne s’est pas fait prier, durant une longue prise de parole d’une quarantaine de minutes, de rappeler à la droite qu’elle a, par le passé, voté les traités européens, dont celui de Lisbonne, en 2007. Résumant le texte des LR, Darmanin a parlé d’une «proposition de loi d’appel». Le député du Lot Aurélien Pradié évoque, lui, une «petite diversion» avant l’examen du projet de loi immigration.
De leur côté, les oppositions ont blâmé les obsessions de la droite ciottiste, en droite ligne de celles du Rassemblement national. «J’avoue une certaine angoisse, une inquiétude, à ce que votre famille politique, […] qui se dit héritière du gaullisme, puisse s’abandonner à ces idées, et abandonner les valeurs humanistes et républicaines dont vous avez été un temps les constructeurs», a dénoncé Erwan Balanant, député Modem du Finistère. Sa collègue socialiste Cécile Untermaier a reproché à la droite de céder «aux sirènes du populisme». «C’est la France», a pour sa part répété l’écologiste Benjamin Lucas, énumérant une longue liste de personnalités, Marie Curie, Joseph Kessel, Missak Manouchian, etc. «Célèbres ou anonymes, avec ou sans papiers, la France, c’est une somme de femmes et d’hommes qui décident ensemble de faire nation. Et la nation, mes chers collègues, ce n’est pas une identité figée, c’est un projet républicain sans cesse renouvelé.» Le Rassemblement national a pris soin, par la voix d’Edwige Diaz, de se différencier des «postures» de LR. «Depuis 2022, Les Républicains n’ont cessé de sauver ce gouvernement qui détient tous les records en matière d’immigration en refusant systématiquement de voter les motions de censure», a lancé la députée de Gironde. Prenant à de rares fois la parole, Marine Le Pen a joué, elle, la supériorité technique face à Eric Ciotti. Un des rares arguments dont use encore la droite pour marquer une quelconque différence avec l’extrême droite.
Mémoire à vif de la guerre d’Algérie
Plus tôt dans la journée, à l’ouverture des débats, la droite a tenté un autre coup avec son premier texte, une proposition de résolution appelant à «la dénonciation, par les autorités françaises, de l’accord franco‑algérien du 27 décembre 1968». Celui-ci, qui découle des accords d’Evian de 1962, écarte les ressortissants algériens du droit commun pour leurs conditions de circulation, de séjour et d’emploi en France. A la tribune, la députée Les Républicains Michèle Tabarot a remis en cause cette exception : «Nous pourrons voter autant de lois que nous souhaitons, tant que nous ne dénoncerons pas l’accord franco-algérien de 1968, nous ne retrouverons jamais une capacité totale à maîtriser les flux migratoires.» En s’attaquant à ce traité bilatéral, Les Républicains entendaient coincer la majorité, dans laquelle la poutre travaille. L’ancien Premier ministre Edouard Philippe soutient la dénonciation de l’accord de 1968. De son côté, le président de la République a balayé l’initiative : «Je ne savais pas que la politique étrangère de la France était définie au Parlement», a-t-il ironisé mercredi lors du Conseil des ministres selon des propos rapportés par BFM TV.
Dans l’hémicycle, c’est surtout la personne de Michèle Tabarot, fille d’un ancien activiste de l’OAS, qui a ravivé la mémoire à vif de la guerre d’Algérie. «Nous avons tous en nous une part d’Algérie», a tenté d’apaiser le socialiste Jérôme Guedj, dont son oncle, élu socialiste à Bondy, est un rapatrié. Avant lui, sa collègue Fatiha Keloua-Hachi, élue en Seine-Saint-Denis, a dénoncé la «vieille soupe rance et stigmatisante envers les Algériens». Une «idéologie rance du temps béni des colonies», a embrayé la députée écologiste Sabrina Sebaihi, avant d’accuser la droite de «réhabiliter l’OAS». «La France et l’Algérie partagent une histoire commune de plus d’un siècle», a également rappelé Soumya Bourouaha, députée communiste de Seine-Saint-Denis, parlant de la «violence de la colonisation». Ces trois élues de gauche sont nées de parents Algériens. «J’ai été mise en cause de façon assez honteuse durant cette matinée», a conclu, elle, Michèle Tabarot, assurant être «fière de [s]on histoire familiale» et accusant la gauche d’avoir été, pendant la guerre, «les amis du FLN qui ont tué des Français en Algérie». La proposition de loi a été rejetée, avec 151 voix contre, et 114 pour. Si ces deux textes liés à l’immigration ont occupé une majeure partie de la journée réservée au groupe LR, d’autres textes étaient inscrits à l’ordre du jour, sur la santé, les classes de découverte ou le recrutement des enseignants.