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L'Europe qui aide

A Lille, pouvoir enfin opérer le cœur des enfants du Nord

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Le financement de l’Union européenne a permis de créer en 2021 le programme «Kidsheart» pour soigner les malformations cardiaques des plus jeunes sans aller jusqu’à Paris.
L’UE a participé à hauteur de 1,25 million d’euros au financement de Kidshearts : achat de matériels adaptés, mise aux normes d’un bloc opératoire, et surtout formation des soignants. (Astier/BSIP. AFP)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 23 mai 2024 à 8h17

Tout au long de la campagne européenne, à travers une série de reportages, «Libé» raconte un autre visage de l’Europe : une UE proche des territoires et des acteurs de la société.

C’est grâce à l’Union européenne, que les deux fils de Sophie Hervieu-Bronsard, de 6 et 9 ans, vivent normalement aujourd’hui. Ils ont été opérés d’une malformation du cœur à Bruxelles et à Lille. Avant le programme «Kidshearts», au centre hospitalier universitaire de Lille, la chirurgie cardiaque n’existait que pour les adultes ou seulement à partir de l’âge de 9 ans. Les autres, 250 enfants par an en moyenne, étaient le plus souvent transférés à Paris. Une anomalie. «Nous sommes une région avec une forte natalité, et pas la plus riche de France, note le professeur Francis Juthier, responsable du programme. C’était un cauchemar d’organisation pour les familles, dont certaines étaient au ticket de métro près. Nous avions des mamans qui envoyaient leur bébé seul à Paris.» Pour les cas les plus graves, en réanimation néonatale, une équipe parisienne débarquait en urgence au CHU de Lille.

«Quand vous devez attendre une heure ou deux, vous trouvez le temps long, parce que l’enfant n’est pas bien, se souvient Ahmed Hadhoum, cardioperfusionniste. Ce sont des bébés en état de choc, qui ont besoin d’une machine pour se maintenir en vie, car ils ont le cœur ou les poumons défaillants. Mais nous n’étions pas formés pour.» Maintenant, il l’est, avec deux autres de ses collègues, sur cette spécialisation très pointue qu’est l’assistance cardiocirculatoire en pédiatrie. Contrairement a ses fils, Sophie Hervieu-Bronsard, 39 ans, a, elle, vécu les années sans : quand on lui a diagnostiqué, à la naissance, une «CIA» (pour «communication interauriculaire», soit un trou dans la paroi entre les deux oreillettes qui perturbe la bonne oxygénation du sang et fatigue le cœur), elle a dû attendre son neuvième anniversaire pour être opérée au CHU. «A l’époque, j’ai passé deux jours et demi en réanimation, et mes parents n’ont eu le droit de me voir qu’une demi-heure», se rappelle-t-elle.

Une montée en puissance progressive du service

En 2016, le centre hospitalier a décidé de monter ce projet complexe et coûteux, mais essentiel, en s’appuyant sur le programme Interreg de l’Union européenne : «C’est vraiment un sponsor de choix, qui nous a permis de rassembler nos partenaires, l’Agence régionale de santé, la CPAM, et de traiter ce projet comme une priorité», apprécie Loïc Berthelot, le directeur de l’hôpital Jeanne-de-Flandre, pôle femme-mère-nouveau né du CHU de Lille. L’UE a participé à hauteur de 1,25 million d’euros au financement de Kidshearts : achat de matériels adaptés, mise aux normes d’un bloc opératoire, et surtout formation des soignants. Laquelle s’est faite à Bruxelles, aux Cliniques universitaires Saint-Luc pour des raisons de proximité géographique avec le Thalys qui emmène en trente minutes les Lillois dans la capitale belge. «On oublie souvent que Lille est frontalier», sourit Loïc Berthelot. D’ailleurs, Kidshearts concerne tout le bassin de population, sans tenir compte de la frontière qui sépare la métropole lilloise de Courtrai ou de Mouscron. 15 médecins et 43 personnels paramédicaux ont suivi ces enseignements.

La montée en puissance du service a été progressive, d’abord des transferts à Bruxelles pour 168 patients, ensuite des opérations au CHU de Lille sur des cas de moindre gravité, puis avec des pathologies plus graves : hors de question de courir le moindre risque avec les enfants. Pour sa première grossesse, Sophie Hervieu-Bronsard a vécu ces différentes étapes. Son aîné ne présente pas de troubles particuliers, les médecins sont rassurants : la malformation qu’elle a eue n’est a priori pas héréditaire. Mais pour son deuxième enfant, une échographie révèle le même problème qu’elle. En décembre 2018, son fils est opéré à trois mois en Belgique, à Saint-Luc. «Nous étions à une heure de route, ce qui nous a permis de rentrer tous les soirs. On avait l’angoisse de le laisser seul, même si on le savait entre de très bonnes mains, témoigne-t-elle. Mais c’était important de souffler. Mon aîné, Gabriel, était en maternelle, et on a pu assister avec lui à la fête de Noël de notre commune.» Dans la foulée, Gabriel est lui aussi diagnostiqué avec une CIA importante. Il est opéré deux ans plus tard, à 6 ans, au CHU de Lille. «C’était génial. Deux infirmières lui ont expliqué l’opération avec un gros hôpital Playmobil. Il s’est senti en sécurité parce qu’il connaissait tout le monde, il se souvient encore des prénoms», s’enthousiasme sa mère. Plus de 320 enfants ont bénéficié de cet accompagnement depuis 2020. Sophie Hervieu-Bronsard applaudit : «Dans ce projet, les professionnels ont avancé ensemble, pour le bien de tous. Pour le coup, l’Europe est un atout, avec un A majuscule.»